Après l’Ukraine, la Géorgie !
Le gouvernement de Tbilissi souhaite se rapprocher de l’Union européenne. Poutine, lui, met la pression sur la Géorgie. Avant d’intervenir militairement ? Par François Hollande
Si l’on cherche les origines de la guerre en Ukraine, il faut remonter à l’automne 2013, quand les autorités de ce pays ont voulu signer un accord d’association avec l’Union européenne. Vladimir Poutine avait alors sommé le président ukrainien de l’époque d’y renoncer séance tenante et celui-ci obtempéra. C’est ce reniement qui provoqua, au printemps 2014, la révolution de Maïdan, le renversement de cet allié de Moscou et l’arrivée au pouvoir à Kiev des partis pro-européens. C’en fut trop pour Poutine, qui déclencha une double attaque, directe sur la Crimée – occupée aussitôt – indirecte par le truchement des séparatistes du Donbass, qui déclenchèrent une guerre qui n’a jamais cessé.
C’est ce même processus qui est en cours en Géorgie. Quand celle-ci a obtenu le statut de pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne, le gouvernement, contre la volonté de la présidente et surtout contre une large majorité de ses habitants, a fait voter une loi contre « l’influence étrangère », calquée sur celle qui prévaut en Russie, visant à réduire au silence les médias indépendants et la société civile. Depuis, la répression des manifestants s’intensifie à mesure que la pression russe se fait plus insistante.
Le commis de Moscou en Géorgie est un oligarque, Bidzina Ivanichvili, qui a longtemps bénéficié de la bienveillance européenne et d’une certaine indulgence française. Or son jeu est désormais de moins en moins double. Il n’a même pas besoin de gouverner lui-même. Depuis des années, il tire les ficelles du système politique géorgien et sa fortune lui permet de corrompre l’administration comme l’appareil répressif. Sa détestation de l’Occident s’est exprimée de manière plus surprenante ces derniers jours, sûrement sous la dictée de son commanditaire russe, à qui il a emprunté ses mots et ses méthodes. Il ne s’embarrasse plus de circonvolutions : il a choisi la Russie contre l’Europe.
La Commission européenne a voulu réagir en menaçant de suspendre le processus d’adhésion. Mais c’est bien ce qu’escompte le parti au pouvoir en Géorgie : sortir de ce processus pour mieux complaire à Moscou. L’Europe envisage aussi des sanctions contre Ivanichvili et un arrêt de l’aide à Tbilissi. Malheureusement, c’est un moulinet qui n’effraie personne et surtout pas la Russie.
La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, fait ce qu’elle peut pour résister. Elle a opposé son veto à la loi scélérate qui vient d’être adoptée. Mais, comme elle le dit elle-même, c’est le seul instrument dont elle dispose et il pourra être contourné. Elle espère surtout que les élections prévues en octobre donneront une majorité européenne au Parlement géorgien. Mais est-on certain que ce scrutin se tiendra à la date prévue ? Et dans l’hypothèse d’une victoire de l’opposition, ne faut-il pas craindre un processus à l’ukrainienne ? C’est-à-dire une déstabilisation interne et une intervention extérieure de la Russie.
Or la Géorgie, petit pays d’à peine 4 millions d’habitants, n’est pas de taille. Son territoire est déjà amputé depuis la guerre de 2008, qui a consacré « l’indépendance », sous contrôle de Moscou, de deux régions sécessionnistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Depuis plusieurs mois, de nombreux Russes ont émigré en Géorgie pour échapper à la mobilisation. Ils sont donc considérés par Vladimir Poutine comme des déserteurs.
Bref tout est prêt pour une nouvelle opération militaire si les conditions s’y prêtent et si la mollesse de la réaction européenne incite Vladimir Poutine à aller jusqu’au bout. Pour l’instant, il préfère soutenir la répression des manifestants et favoriser la manipulation du processus électoral pour couper court à toute velléité de l’opposition et empêcher en définitive l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne. C’est moins coûteux et moins dangereux que d’ouvrir un nouveau front en plus de celui d’Ukraine.
La fête de l’indépendance de la Géorgie est prévue le 26 mai. La présidente a courageusement lancé des invitations aux dirigeants européens et notamment au président Macron. Tous seraient bien avisés d’y répondre, pour convaincre la population que l’Europe ne les lâchera pas et pour dire à Moscou que l’Union sera toujours aux côtés des pays qui veulent la rejoindre.