Soldats d’Ukraine : la guerre des seniors?

par Pierre Feydel |  publié le 15/03/2024

Le bel élan patriotique semble loin. Comment relever les soldats au front depuis deux ans s’il n’y a pas de réserve ?

Une femme dépose des fleurs sur la tombe du commandant du premier bataillon mécanisé, le soldat ukrainien Dmytro Kotsiubailo, connu sous le nom de Da Vinci, qui a été tué il y a un an près de Bakhmut - Photo Roman PILIPEY / AFP

L’armée ukrainienne paraît épuisée. Avec un âge moyen de 43 ans des hommes sur la ligne de front, selon le magazine américain « Time », on se doute que la fatigue est intense après deux ans de rudes combats sans relève. Au début de « l’opération spéciale »  engagée par la Russie, cet âge moyen était de dix ans plus jeune environ. Ces combattants ne sont pas aussi alertes et endurants que des conscrits de vingt ans. À ce handicap, s’ ajoutent des atteintes au moral amplifiées depuis l’échec de la grande offensive d’été. Deux ans de durs combats, dans la boue et la neige, sans permission, sans revoir ses proches ,peuvent mener à une forme de résignation. L’absence de munitions, le pilonnage incessant de l’artillerie russe, l’augmentation des pertes, les reculs inévitables n’arrangent rien.

Le bel élan patriotique des débuts semble loin. Au nombre des premiers engagés, on a compté le meilleur de la société ukrainienne : universitaires, artistes, membres des professions libérales, chefs d’entreprise… Ceux-là ont subi de lourdes pertes. Des blessés, des mutilés sont rentrés, témoignant de la cruauté de la guerre. Et le recrutement est désormais une question épineuse. Les Ukrainiens communiquent peu sur leurs effectifs réels, encore moins sur leurs pertes. Mais, à la fin de l’année dernière, l’armée a réclamé au président Zelensky 500 000 hommes de plus. Le chef de l’État a hésité à réclamer à son peuple un effort susceptible de le rendre fortement impopulaire.

Un soldat dans une ambulance militaire ukrainienne pour
évacuer les soldats blessés en direction de Bakhmut
– Photo JOSE COLON / ANADOLU

Tout Ukrainien entre 18 et 60 ans ne pourra plus quitter le territoire. Il est vrai que le nombre de ceux qui se sont réfugiés à l’étranger paraît considérable . Le nombre de 650 000 circule. La corruption a grippé le système de recrutement. Si bien qu’en août 2023, les responsables régionaux des bureaux de recrutement ont été limogés.  Ces commissaires militaires étaient accusés d’enrichissement illégal, de légalisation de fonds obtenus illégalement, de transport illégal de conscrit de l’autre côté de la frontière : 112 enquêtes criminelles ont été ouvertes.

Au début de l’année, Le Rada, l’Assemblée nationale a voté une loi qui fixe la période de service à 36 mois. L’âge minimum de la conscription est passé à 25 ans au lieu de 27. Jusqu’alors les Ukrainiens avaient tenté de protéger leurs étudiants, l’avenir du pays. Ceux qui se sont installés à l’étranger devront prendre contact avec leurs ambassades pour bénéficier de leurs services, tels des renouvellements de passeport. Au passage, ils devront posséder des documents d’enregistrement militaires, s’ils sont en âge d’être mobilisés. Le gouvernement a même décidé d’envoyer au front des… délinquants actuellement en prison. Ce sont les militaires qui décideront ou non de leur incorporation en fonction de la nature de leur délit ou de leur crime. En attendant, de nombreux jeunes ukrainiens tentent d’échapper à la conscription. Faute de pouvoir fuir, ils se cachent.
Le débat sur la conscription est vif dans la société et dans la classe politique. Sa résolution est cruciale. À quoi bon réclamer des armes s’il n’y a pas les hommes pour les servir.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire