Assad : les raisons d’une chute

par Pierre Benoit |  publié le 08/12/2024

Le régime du président syrien s’est effondré en quelques semaines de combats. Les rebelles islamistes ont bénéficié de la défaite du Hezbollah et de la faible réaction russe.

Des rebelles se tiennent devant un portrait défiguré du président syrien Bashar al-Assad dans la ville de Daraa, sud de la Syrie, le 7 décembre 2024. (Photo de Sam HARIRI / AFP)

C’est la fin pour un régime qui domine la Syrie depuis plus de cinquante ans. Le président Al Assad a disparu, on suppose qu’il a pris la fuite. Après Alep, Hama et Homs, les insurgés islamistes de l’Organisation de libération du Levant (HTC) semblent désormais occuper Damas. L’offensive des rebelles a été fulgurante et l’armée du dictateur n’a offert aucune véritable résistance.

Le régime semblait paralysé depuis le début de l’offensive. Dans son palais de Masseh à l’ouest de la ville, la seule réaction du Président a été la publication d’un décret en milieu de semaine annonçant une augmentation de 50% de la solde des militaires. Son geste n’a pas été suffisant, son armée s’est effondrée, elle a fui devant les colonnes rebelles qui se sont emparé des blindés et des chars.

On avait laissé en 2018 la Syrie détruite après une guerre civile de quelques 500.000 victimes qui avait commencé en 2011 par une simple protestation démocratique dans la foulée des printemps arabes pour finir dans un affrontement entre les forces du régime et les djihadistes sunnites de l’État islamique venus du nord et l’est du pays. Al Assad n’avait dû son salut qu’à l’intervention des milices chiites d’Irak, du Hezbollah libanais et surtout de l’aviation russe et des forces spéciales de Poutine. C’est grâce à eux que Damas avait pu reprendre Alep, Homs et Raqqa, l’éphémère capitale de l’État islamique.

On retrouve aujourd’hui un pays qui a perdu ses appuis : les milices du Hezbollah sont sorties affaiblies par les frappes israéliennes sur le Liban et les quelques bombardements de l’aviation russe n’ont pas été suffisants pour colmater les brèches. Depuis la guerre en Ukraine, Moscou a réduit son dispositif. Aujourd’hui l’armée syrienne compte 200.000 hommes, elle n’est plus qu’une troupe maltraitée par le régime et appauvrie par la corruption. Hafez Al Assad, le père de la dynastie, avait bâti une force de 300.000 hommes dominée par des soldats issus de la communauté alaouite (un courant de l’islam chiite) pour assurer la pérennité du régime dans un pays à majorité sunnite. Après la guerre civile son fils Bachar n’a jamais pu reconstruire une telle garde prétorienne.

Les images en provenance de Syrie montrent des rebelles portant des uniformes neufs et des équipements militaires conséquents. Les anciens djihadistes de al Qaïda dirigés par Mohammed al-Joulani ne sont pas seuls à marcher vers Damas, ils sont accompagnés par des groupes de l’ancienne « Armée de libération syrienne » proche de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Ankara combat sans relâche les milices kurdes de Syrie bien implantées dans le nord du pays. La Turquie partage 900 km de frontière avec la Syrie, elle accueille trois millions de réfugiés syriens sur son sol.

Le sort du régime de Bachar Al Assad se joue peut-être au Qatar où sont réunis depuis samedi les ministres des affaires étrangères iranien, russe et turc. Erdogan a lancé cette semaine un avertissement en direction du maître de Damas l’enjoignant « à se réconcilier avec son peuple ». Officiellement, il n’a pas été jusqu’à demander son départ. De leur côté, les Iraniens n’avaient pas apprécié le peu de réaction exprimée par Damas après la disparition de Nasrallah dans un bombardement israélien. Le russe Sergueï Lavrov estime que Assad devait cesser d’exiger le départ des forces turques dans le nord-ouest de son pays.

En clair, pour les trois pays qui comptent en Syrie, le maître de Damas était devenu l’empêcheur de tourner en rond. « Pour la Russie comme pour L’Iran, la solution idéale était de négocier le départ de Assad, souligne Agnès Levallois, Vice-Présidente de l’Institut de Recherche et d’Étude Méditerranée Moyen Orient. Mais elle ajoute : « ce départ ouvre une transition en gardant en place le système des alliances. Dans cette hypothèse, Moscou préserverait ses bases de Lattaquié et de Tartous sur la côte syrienne, Téhéran garderait ses liens avec Hezbollah via Damas ».

Le moment venu, rien ne dit cependant que le chef de guerre al Joulani ne cherchera pas à tourner la page des années Assad d’une manière plus radicale encore.

Pierre Benoit