Bachar Al-Assad : retour en grâce du tortionnaire

publié le 01/10/2023

Peu importe la répression sanglante, les années de guerre civile, les massacres de masse, la torture, les enlèvements et même les 6,6 millions de Syriens en fuite à l’étranger… la Chine et la Ligue arabe accueillent désormais le dictateur à bras ouverts. Par Jean-Pierre Perrin

Portrait du président syrien Bashar Al-Assad en feu lors d'affrontements entre les rebelles et les troupes syriennes près d'Alep -Photo Bulent KILIC / AFP

C’est pour le moins inattendu : un grand portrait du leader druze Kamel Joumblatt, assassiné en mars 1977 sur ordre de Hafez al-Assad, a été brandi, le 23 septembre, en tête de cortège par les manifestants de Soueïda, en Syrie. Depuis le 15 août, la population de cette région frontalière de la Jordanie, peuplée en grande majorité de Druzes, descend régulièrement dans la rue pour exiger la fin du régime de son fils Bachar.  

Alors que le président syrien Bachar Al-Assad fait peu à peu sa rentrée sur la scène internationale, dont il était le paria depuis une douzaine d’années, les Syriens n’ont pas abdiqué de leur colère qui perce régulièrement dans différentes autres régions du pays, Deraa, notamment, en dépit de la férocité de la répression.

En défilant derrière la photo de Kamel Joumblatt – fondateur du Parti socialiste progressiste (PSP), il fut le grand homme de la gauche libanaise -, puis en décrochant le portrait du dictateur syrien pour le remplacer par la photo d’une colombe, les manifestants témoignent qu’ils n’ont rien oublié des atrocités que le régime Assad, père et fils, a commis depuis les années 1970.

Ils n’en reprennent pas moins les revendications de l’ensemble de la population syrienne, saignée par la terrible crise économique qui a provoqué des pénuries générales sur tout le territoire, la chute de la livre syrienne qui s’est dépréciée de 90 % en quelques semaines, une inflation à deux chiffres, une augmentation (officielle) de 200 % du prix du carburant. Cela n’a pas diminué pour autant les prédations du clan Assad.

Cinquante ans de répression, douze années de guerre civile, 306 000 morts selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) – un chiffre très en dessous de la réalité – environ 16 000 détenus torturés à mort dans les geôles du régime, 6,6 millions de Syriens ayant fui à l’étranger, soit la plus importante population de réfugiés au monde.

Un pays dont les ressources (pétrole, engrais) ont été pillées par le groupe Wagner, dépecé par de multiples milices et puissances étrangères, d’un côté la Russie et l’Iran, au Nord et à l’Est, la Turquie et les États-Unis, bombardé à sa discrétion par Israël, avec des territoires entiers quasiment détruits et vidés de ses habitants, c’est l’effroyable bilan du clan Assad.

La légitimité qu’il a perdue de longue date dans son pays, Bachar al-Assad ne cherche nullement à la reconquérir. Seule la scène internationale l’intéresse et il s’emploie à y revenir. Le 21 septembre, il a été accueilli en grande pompe en Chine, pour une visite de cinq jours, par le président Xi Jinping. Les deux dirigeants ont annoncé l’établissement d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays. Et la partie chinoise s’est engagée « à fournir toute l’aide possible à la Syrie et soutenir les efforts syriens de reconstruction et de relance ».

À l’évidence, cette première visite en Chine en près de 20 ans du président syrien est un beau coup diplomatique. Auparavant, le dictateur syrien avait été réintégré au sein de la Ligue arabe, dont il avait été exclu fin 2011, et participé le 19 mai à Riyad à son premier sommet de l’organisation panarabe depuis plus d’une décennie.

Bachar al-Assad a donc définitivement perdu son statut de paria. Se réconcilier avec l’Europe et les États-Unis n’est pas sa priorité. Déjà en 2011, son ancien ministre des Affaires étrangères avait fait savoir que la stratégie syrienne était tournée désormais vers l’est. De son côté, la Chine espère renforcer sa position stratégique avec un débouché de plus pour son projet pharaonique des routes de la Soie.

Mais la Syrie est toujours au fond du gouffre. La reconstruction du pays exige un budget phénoménal – elle est estimée entre 250 et 400 milliards de dollars – et les caisses de l’État syrien sont désespérément vides. Et le leadership qu’elle exerçait sur le monde arabe semble bien loin. Aujourd’hui, elle apparaît plus comme un pays vassal de Moscou et, davantage encore de Téhéran qui a déployé des pasdarans (gardiens de la révolution) sur l’ensemble du territoire. Même à Damas où, sur la route qui conduit l’aéroport, ils ont établi un check-point. Des Perses dans la capitale syrienne !

Quel camouflet pour le fils de celui que l’ancien secrétaire d’État américain Henri Kissinger appelait « le Bismarck » du monde arabe.