Attentats: le casse-tête du suivi des fichés S

par Valérie Lecasble |  publié le 05/12/2023

Impuissant à empêcher les attaques terroristes, l’État français cherche à s’exonérer de sa responsabilité. Que faire pour empêcher le passage à l’acte ?

Un individu connu des autorités françaises comme étant un islamiste radical a poignardé à mort un touriste allemand et blessé deux personnes dans le 15e arrondissement de Paris dans la soirée du 2 décembre 2023. Il aurait crié Allahu Akbar (Dieu est le plus grand) avant d'être arrêté. Des membres de la Police d'identité judiciaire inspectent la scène- Photographie Gauthier Bedrignans / Hans Lucas.

Ils sont 20 120 individus dangereux fichés S dont 5100 en lien avec l’islamisme radical. Y figurent 1411 étrangers en situation irrégulière. Créé au lendemain des attentats de 2015, protégé par le secret-défense, ce fichier spécifique des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste (FSPRT) recense les informations (lieux de résidence, profession, signes de radicalisation) que recueillent en permanence les services territoriaux et les services de renseignement pour les transmettre à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

On estime à une quinzaine le nombre d’agents nécessaires pour surveiller un seul Fiché S. Armand Rajabpour-Miyandoab qui a tué le 1er décembre un touriste allemand sur le pont Bir-Hakeim au cri d’Allah Aknar, tout comme Mohammed Mogouchkov, l’assassin du professeur Dominique Bernard quelques semaines auparavant,  étaient tous les deux répertoriés. Cela ne les a pas empêchés d’attaquer à coups de couteau leurs victimes.

 « Les suspects sont trop nombreux, les services sont saturés, incapables de traiter la masse », prévient Frédéric Ploquin, écrivain grand reporter spécialisé dans la police. » Patrice Bergougnoux, l’ex-directeur général de la police renchérit « Ce sont de simples fiches d’information et de renseignement, non assorties de demandes d’actes judiciaires. Ces personnes ne sont pas recherchées pour terrorisme, ou criminalité, on ne peut pas les interpeller. Pour y remédier, il faut trouver la manière juridique de passer de l’administratif au pénal .

Puisqu’être Fiché S ne permet pas d’arrêter, encore moins d’expulser, y figurer n’entraîne ni restriction ni contrainte. Depuis les attentats terroristes islamistes perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, en mars 2012, les profils se ressemblent. Il s’agit souvent de Français, de deuxième ou troisième génération qui, pour diverses raisons, se sont embrigadés dans l’islamisme radical. Parfois, ils sont passés par la case prison, comme pour l’auteur de l’attaque du Pont Bir-Hakeim.

À leur sortie, on cherche à les déradicaliser, mais généralement, sans grand résultat. Armand Rajabpour-Miyandoab a ainsi simulé sa rédemption.  “Comment faire confiance à ces individus dangereux”, s’interroge Patrice Bergougnoux qui encourage à regarder ce qui se fait ailleurs, aux États-Unis.

“On ne va quand même pas tous les emprisonner comme l’ont fait les Américains à Guantanamo !”, s’insurge Frédéric Ploquin. La proposition est plus subtile : “là-bas, après une peine pénale, on continue de surveiller les gens. On les assigne à résidence dans un cadre administratif, sous le contrôle de bénévoles volontaires en uniforme, souvent des retraités qui en complément de la police américaine vont vérifier chaque jour qu’ils sont à leur domicile et portent leur bracelet électronique”.

Rien de cela en France où le débat se cantonne à faire porter la responsabilité à l’État, qu’il s’agisse du fiasco de la police ou de celui de la psychiatrie. Autrefois, il y avait bien dans les cités et les gros immeubles, des loges de gardiens où habitaient des couples dont souvent l’un était policier. Mais c’était jusque dans les années 70, autant dire il y a une éternité.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique