Attente : danse macabre aux Urgences

par Professeur Frédéric Adnet |  publié le 21/02/2024

Des  heures parfois des jours allongé sur un brancard aux Urgences… l’embouteillage tue

L’actualité fait brutalement émerger ces patients morts dans les services d’urgences avec un lien inquiétant sur l’encombrement de ces services. Lucas, 25 ans décédé d’une infection après plus de dix heures passées sur un brancard, une patiente âgée morte sur un brancard à Nantes le 2 janvier dernier ou alors ces deux autres patients décédés aux urgences de Grenoble…

La Haute Autorité de Santé a comptabilisé 2 385 évènements indésirables graves associés aux soins en 2022, chiffre en nette augmentation. Une enquête par le syndicat Samu-Urgence-de-France a alerté les autorités sanitaires sur 43 décès inattendus dans les services d’urgences début 2023. Ce chiffre – partiel- représentant probablement la partie émergée de l’iceberg.

Un véritable goulot d’étranglement

Il existe actuellement une souffrance des services d’urgence en France, principalement liée à un niveau d’encombrement jamais atteint.  Un véritable goulot d’étranglement, résultat de deux dysfonctionnements distincts de notre système de santé. Le premier engendre un flux d’amont (les patients se rendant aux urgences) disproportionné, chiffre délirant de 21 millions de patients en 2022, près du tiers de la population française ! Pourquoi ce chiffre ingérable ? À cause des déserts médicaux, de la chute du réseau de médecins généralistes, de l’abandon des gardes par les praticiens libéraux et de la chute des visites à domicile.

Ce flux d’urgences « relatives », ne devrait pas relever d’une prise en charge hospitalière. Résultat : des files d’attente énormes devant les urgences avec des ambulances à la queue leu-leu et le mécontentement, voire l’agressivité des patients que cette situation entraine.

23 000 lits fermés en dix ans

Le deuxième dysfonctionnement concerne l’aval des urgences, c’est-à-dire là où il faut trouver des lits pour les patients qui nécessitent des soins hospitaliers. Hélas, le manque de personnel soignant (qui se chiffre à plusieurs milliers) a entrainé des fermetures de lits drastiques. Aggravé par une politique de santé publique qui organise la fermeture de lits au profit de l’hospitalisation partielle ou de l’activité ambulatoire. Au total, plus de 23 000 lits ont été fermés depuis 2013. Et le mouvement ne s’arrête pas puisque 6 713 lits ont été fermés rien que pour l’année 2022.

Au total, des délais incroyablement longs dépassant allégrement 5-6 heures voire plusieurs jours dans les couloirs des urgences. Des filières de soins en grave crise comme la psychiatrie avec son lot de malades sous contention, difficile à gérer et contribuant à la désorganisation du service.

Une seule nuit d’attente peut tuer

Au final, les services d’urgences se transforment en salles d’hospitalisation improvisées en parallèle avec le flux de patients entrant. Une seule et même équipe de soignants dimensionnée pour les urgences entrantes se retrouve à gérer cette double mission.

Cela induit une maltraitance institutionnelle puisque ce personnel, qui ne peut se dédoubler, privilégiera bien sûr les nouveaux patients ou les urgences vitales. Ainsi, les soins de conforts, les repas, l’attention et la surveillance se dégradent. L’association effets indésirables – allant jusqu’au décès – et l’encombrement des urgences est un classique de la littérature médicale scientifique. Un article récent, français, a évalué une augmentation de la mortalité des patients âgés aux urgences d’environ 39 % (passant de 11 % à 16 %) si le malade passait une nuit à attendre sur un lit d’hospitalisation aux urgences. Quelles sont les solutions ?

Les solutions existent

Complexe… Établir un moratoire sur les fermetures de lits devient une nécessité absolue, car nous atteignons clairement un plancher qu’on ne peut plus enfoncer. Réorganiser l’interface entre les services d’aval et les urgences en mutualisant les patients programmés et ceux issus des urgences pour partager réellement nos lits d’hospitalisation. Généraliser les bed-managers (gestionnaires de lits) et dimensionner des équipes soignantes pour gérer les patients en attente d’hospitalisation.

Bon courage!

Diminuer le flux en amont passe par un maillage plus dense de solutions alternatives comme les consultations sans rendez-vous, les maisons médicales de garde ou l’appel au « 15 » avec le Service d’Accès aux Soins dont une des missions principales est de décompresser des flux aux urgences. Enfin rendre attractif l’hôpital pour ses personnels en espérant un retour de ceux-ci pour rouvrir enfin les lits nécessaires.

Notre Président de la République a annoncé avec vigueur la disparition de l’encombrement aux urgences pour fin 2024… Bon courage !

Professeur Frédéric Adnet

Chroniqueur médical