Au début était le Front populaire

par Malik Henni |  publié le 14/06/2024

Oui, mais lequel ? Retour sur l’acte de naissance historique

Ouvriers grévistes le 30 mai 1936 à Paris © AFP/Archives

Au début des années 1930, la France vit une période de turbulences. La crise économique frappe le pays, l’antiparlementarisme et l’attrait pour le régime autoritaire de Mussolini se renforcent.

Un scandale de corruption impliquant des hommes politiques, l’affaire Stavisky, va mettre en péril la IIIème République le 6 février 1934. A Paris, une manifestation en soutien à un préfet de police proche des partis d’extrême-droite dégénère. Les cortèges des ligues d’extrême-droite sont arrêtés de justesse place de la Concorde : un coup d’État autoritaire est empêché.

Pour les militants de gauche, du PCF au parti radical en passant par la SFIO, la prise de conscience est immédiate.  Trois jours plus tard, une manifestation à la République les rassemble et déborde les logiques d’appareil : la base montre qu’elle veut l’union.

Pourtant, les différences paraissaient insurmontables à l’époque. Deux « gauches irréconciliables » s’invectivent sans cesse depuis la rupture entre la SFIO et le PCF au Congrès de Tours de 1920. De plus, la SFIO a déjà été trahi deux fois par le Parti radical qui préfère gouverner avec la droite sur l’économie et le social.

Mais le vent tourne : Staline tire les conclusions de l’échec de sa stratégie d’équivalence du fascisme et de la « démocratie bourgeoise » qui a permis à Hitler d’arriver au pouvoir en Allemagne, et encourage désormais le rapprochement du PCF avec les autres partis. La SFIO, convaincu par un Thorez qui appelle à « l’alliance de la classe ouvrière et de la classe moyenne », accepte le principe. Le radical Daladier, sorti affaibli de la crise du 6 février, cherche à retrouver de l’espace politique. Alors, un ralliement, oui, mais sur quel programme ?

Le slogan « Pain, Paix, Liberté » s’articule autour d’une défense de la démocratie et de l’interventionnisme économique. Le Parti radical y impose sa marque : seules les injustices les plus criantes seront gérées, pas question de changer les structures de la société capitaliste. En termes de politique étrangère, les divergences entre les trois partis seront fatales à la jeune république espagnole…

Mais les électeurs sont convaincus : les votes en faveur du Front populaire ne représentent qu’un petit point de plus par rapport aux élections de 1932, mais c’est suffisant pour obtenir la majorité !

Léon Blum, accusé par la presse de droite d’être la marionnette des communistes est intransigeant : le programme et rien d’autre. Le PCF soutient le gouvernement sans le rejoindre, et les grèves de du printemps 1936 renforcent les mesures sociales que nous connaissons : congés payés, réduction du temps de travail, allocations chômage, nationalisation de l’armement, grands travaux… Le risque fasciste est définitivement écarté en France. Jusqu’à la guerre.

L’exercice du pouvoir n’a pas été simple pour le Front populaire : certains espoirs ont été déçus et la presse d’extrême-droite au service des grandes fortunes de l’époque a diffamé le ministre de l’Intérieur Salengro, le poussant au suicide. Après la fin de l’aventure, Blum tenta un retour à la tête du gouvernement en 1938, mais ne réussit pas à convaincre le Sénat de réformer durablement l’économie. Un an plus tard, c’était la guerre.

Malik Henni