Au Tchad, comment légitimer un coup d’État…

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 17/05/2024

 Le  tour de passe-passe de  Déby pour blanchir un pouvoir obtenu par la force

Il n’y avait guère de suspense dans l’élection présidentielle au Tchad le 6 mai, tant tout semblait prêt pour assurer la victoire du chef de la junte et fils de son père, Mahamat Idriss Déby Itno. Son opposant, Succès Masra, que Déby avait habilement nommé Premier ministre quelques mois avant l’élection, était-il susceptible de lui faire obstacle, ne serait-ce qu’en lui imposant un deuxième tour ? Il n’en a rien été. Déby l’a emporté dès le premier tour avec plus de 61 % des voix, Masra dépassant à peine 18 %.

Ces chiffres sont certes encore provisoires, car non validés par le Conseil constitutionnel. Mais ils ont été annoncés par la très officielle et bien-nommée ANGE (pour Agence Nationale de Gestion des Élections). Ce qui les rend définitifs.

Chef de la junte militaire ayant pris le pouvoir après le décès de son père, et bien qu’ayant alors promis qu’il ne serait pas candidat à la présidence, le fils Déby se considère désormais comme légitime, comme « le président élu de tous les Tchadiens ». L’opposant principal, Succès Masra a tenté un baroud d’honneur, en annonçant sa victoire avant l’ANGE. Mais son expérience de Premier ministre lui avait fait comprendre que les militaires soutenant Déby n’étaient pas prêts à le lâcher.

Pas de surprise donc, sinon la confirmation que le retour à l’administration civile du pays n’est pas pour demain, et que les militaires au pouvoir ont bien l’intention de le conserver. Ils se glorifient par ailleurs de ne pas être, comme leurs voisins du Sahel, aux prises avec des troupes djihadistes qu’ils auraient éliminées.

Les conséquences n’ont pas tardé. Avant même l’élection, les principaux leaders de l’opposition avaient fait l’objet d’arrestations et d’interdictions diverses.  Le plus farouche, selon certains, Succès Masra, avait été neutralisé par cette nomination comme Premier ministre. Plusieurs dizaines de ses partisans, les « Transformateurs », viennent d’être arrêtés et inculpés de divers chefs d’accusation pour avoir tenté de manipuler les scrutins.

Alors que le reste de l’opposition considère désormais Masra comme un « traître ». Déby opère donc une double élimination de son adversaire potentiel. Le recours que Masra vient d’exercer contre les résultats proclamés par l’ANGE ne pèsera pas lourd face à un Conseil constitutionnel acquis à la junte.


La voie est donc libre pour la junte, désormais légitimée, sans qu’aucun observateur international n’ait trouvé à redire. Ni la CEEAC (Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale) ni l’ancienne puissance coloniale la France, ni l’Europe, ni les États-Unis. Pour la France et les États-Unis, toutes deux préoccupées de conserver leurs troupes au Tchad, ce résultat était certainement souhaité. Même si, dans les deux cas, des plans B de repli sont déjà en préparation vers la Côte d’Ivoire, au cas où les militaires tchadiens reverraient leurs alliances.

Car au Tchad aussi, l’influence russe commence à se faire sentir, Déby ayant reçu notamment le soutien de… paramilitaires « ex-wagnériens » lors de sa campagne.

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique