Aurélien Rousseau : se réconcilier avec le quinquennat Hollande
Ex-directeur de cabinet adjoint de Manuel Valls, directeur de cabinet d’Elisabeth Borne, puis ministre de la Santé, le numéro trois de Place Publique veut construire un projet social-démocrate qui s’émancipe de LFI et reconnaît les avancées du quinquennat Hollande.
Il s’indigne du populisme de gouvernement, qui profite au Rassemblement national et assure que la popularité de Retailleau sert en fait le RN.

Seul député Place Publique, cela vous donne une responsabilité particulière…
Au sein du groupe socialiste dans lequel je siège à l’Assemblée nationale, j’assume la position sociale-démocrate de Place publique. Notre parti est pour l’instant davantage identifié sur les sujets internationaux que nationaux. Nous devons construire un projet de société moderne de gauche, où il s’agit d’être lucide et d’assumer des priorités. J’y travaille avec Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq.
N’étant pas membre du PS, je ne me prononce pas sur les candidats pour le congrès. Mais, il y a un besoin de clarifier la ligne politique. Notre projet de société ne peut pas être celui de Jean-Luc Mélenchon.
Le PS doit par ailleurs se réconcilier avec le quinquennat de François Hollande : il y a eu des erreurs, mais aussi des avancées significatives. Ce qui est reproché à François Hollande est davantage de n’avoir pas dit qu’il conduirait une politique de l’offre, plutôt que de l’avoir fait. Cette exigence de clarté est indispensable, et nous en prenons toute la mesure dans la construction du projet de Place publique.
Vous gardez aussi la déchéance de nationalité ?
J’étais directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Manuel Valls et je n’ai pas bien vécu la déchéance de nationalité. Rapidement, François Hollande a reconnu qu’elle était une erreur. Il faut replacer la séquence dans sa chronologie : le congrès de Versailles où Hollande l’a proposée s’est tenu deux jours après les attentats du Bataclan et tous ceux qui étaient là se sont levés à la fin pour applaudir son discours et personne n’a démissionné.
Y a-t-il une chance de sauver le conclave des retraites ?
C’est une victoire de la gauche d’avoir remis cette réforme dans les mains des partenaires sociaux mais la concession doit être réelle. J’étais réticent sur la méthode du conclave, alors que des formats de dialogue social fonctionnent. Le gouvernement doit assumer de maintenir à bord tous les partenaires sociaux, et s’assurer que le patronat prenne ses responsabilités. François Bayrou a eu tort de dire qu’il n’était pas envisageable de revenir à 62 ans, alors que les partenaires sociaux sont en pleine négociation. Il donne raison à ceux qui ne croient pas au dialogue social et qui, comme LFI ont voté la censure, et dénoncé ce conclave comme un simulacre. Le gouvernement ne doit pas amuser la galerie, ni mettre en difficulté les socialistes qui ont accepté la non-censure pour obtenir le dialogue social.
Moi-même, comme directeur de cabinet d’Elisabeth Borne, j’ai participé à l’échec de la négociation avec les partenaires sociaux lors de la réforme des retraites de 2023. Le gouvernement doit être loyal dans sa démarche.
Le gouvernement Bayrou est dans la provocation en permanence. Quinze minutes après la non-censure, Gérald Darmanin annonce vouloir abolir le droit du sol ! On ne peut pas demander à la gauche d’être responsable quand la droite jette de l’huile sur le feu. Entre Wauquiez, Darmanin et Retailleau, c’est à celui qui sera le plus à droite !
La gauche pourrait-elle voter la censure ?
Au vu de la situation nationale et internationale, la censure comporterait des risques lourds. Le gouvernement doit reconnaître qu’il n’a pas de majorité et comprendre que son sort est entre les mains du groupe socialiste. Les débats ont été très vifs et les députés socialistes qui ont choisi la non-censure ont pris des responsabilités qui les engagent. Si le gouvernement laisse le balancier partir trop à droite, il n’est pas écrit que nous ne censurerons pas.
Nous devons être à la hauteur du moment. Je me suis présenté aux élections parce que j’ai voulu prendre ma part à la bataille contre l’extrême-droite, et je ne le regrette pas. Le groupe socialiste m’a accueilli avec bienveillance. Je veux faire bouger les lignes de l’intérieur. Je pense que ma connaissance de l’État est un atout et je me mets au service du collectif.
Quelle place vous donne Raphaël Glucksmann ?
J’ai eu une belle rencontre de confiance avec Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq. J’ai toute ma place à leurs côtés, numéro trois sur la liste des seize personnalités qualifiées de l’Assemblée politique nationale, je suis aussi membre du groupe qui pilote le projet et qui définit la ligne sur les grandes politiques nationales. Notre défi collectif est que la démarche impulsée par Raphaël Glucksmann à l’échelle européenne aboutisse à des mesures politiques concrètes pour la France.
Serez-vous prêts comme promis en juin ?
Nous aurons un projet avec des axes pour la présidentielle et les législatives qui s’en suivront, pas un vrai programme qui serait mis sous cloche en juin. Nous travaillerons pour l’approfondir. Raphaël Glucksmann veut être prêt pour les échéances nationales. Il ne se voit pas sur un piédestal parce que le tragique de l’international lui donne raison. Il adore être député européen mais il aime aussi être sur le terrain en France, rencontrer les agriculteurs et les ouvriers.
Il a l’amour de son pays, est habité par ses valeurs. Il est enraciné en France. Il veut faire le lien entre l’incarnation et le projet, défendre ses positions et les assumer. Nous ne souhaitons pas une accélération des élections que remporterait le RN.
La seule façon que Bayrou tienne jusqu’en 2027 est qu’il se limite à ce qui est indispensable pour le pays. Le populisme de gouvernement qui consiste à aller à la rencontre des désirs de l’opinion ne profite qu’au Rassemblement National. Il faut prendre le temps d’expliquer, de débattre, ça peut tout changer. Pendant le Covid, lorsque je dirigeais l’ARS d’Ile-de-France, Edouard Philippe a choisi cette transparence pour expliquer la nécessité du confinement et les raisons de ses choix politiques, devant sept millions de téléspectateurs. Arrêtons de prendre les Français pour des imbéciles, comme s’ils ne pouvaient plébisciter que des solutions simplistes.
Aujourd’hui, les ministres cherchent à cliver pour exister, à s’agiter pour être vu. Mais à la fin, ils ne font qu’exacerber les passions et mettent en scène leur impuissance. Monsieur Retailleau ferait mieux de s’occuper de la sécurité des Français plutôt que du congrès des LR. Sa popularité ne sera pas un vote pour lui mais pour le RN.
Jeunesse communiste, cabinet de Manuel Valls, puis d’Elisabeth Borne, maintenant Place publique. Ça en fait des zig-zags !
J’ai été adhérent au Parti communiste que j’ai quitté il y a vingt ans et j’y ai gardé des amitiés fraternelles très fortes. Aujourd’hui, je suis à Place publique. Je me suis toujours considéré de gauche. J’ai beaucoup appris, négocié et passé d’accords sociaux au cabinet de Manuel Valls. Je crois aux corps intermédiaires et au dialogue social. Quand on m’a demandé de prendre la direction du cabinet d’Elisabeth Borne, ce n’était pas mon premier choix. J’ai échoué à trouver un accord sur les retraites, c’est évidemment un regret. Mais l’échec fait grandir. Je ne me suis jamais considéré comme macroniste, et je n’ai jamais cru au « en même temps », mais j’ai pensé qu’il y avait des espaces pour peser à gauche. J’ai démissionné de mon poste de ministre de la Santé après la loi sur l’immigration, qui était une victoire idéologique pour l’extrême-droite, parce que j’ai compris que cet espace n’existait plus. Et je suis pleinement engagé aujourd’hui pour construire un projet social-démocrate.