Aurore Lalucq : «Pourquoi il faut taxer les ultra-riches»

par Valérie Lecasble |  publié le 07/06/2024

Bras droit de Raphaël Glucksmann, la députée européenne veut taxer les milliardaires en Europe pour financer la transition écologique.

L'eurodéputée et candidate du Parti socialiste (PS) et du parti Place Publique à l'élection du Parlement européen, Aurore Lalucq, lors d'une réunion de campagne au Zénith de Paris, le 30 mai 2024 - Photo JULIEN DE ROSA / AFP

LeJournal.info Dimanche : Vous avez fait un tabac lors du meeting de Raphaël Glucksmann au Zénith, lorsque vous avez appelé à « taxer les riches ». Pourquoi cet enthousiasme ?

Aurore Lalucq : Pendant des années, la question fiscale a été tabou, l’idéologie néo-libérale a tordu la réalité. On nous a raconté l’histoire des pauvres riches qui étaient obligés de s’enfuir de l’enfer fiscal français vers des paradis fiscaux. Les héritiers devenaient des aventuriers. Or, ma proposition de créer un impôt au niveau européen sur les milliardaires et ceux qui possèdent des centaines de millions d’euros, fait sauter ce tabou. C’est être en capacité de dire que les ultra-riches ne paient pas assez d’impôts et que c’est inadmissible d’un point de vue démocratique, car l’impôt est la base de la démocratie. Pour les milliardaires, l’impôt est indolore et pourtant, ils cherchent à l’éviter : c’est tout bonnement de la sécession. 

Pas mal de tabous ont sauté depuis le Covid : la dette est devenue subalterne, les infirmières et l’hôpital qu’on trouvait coûteux sont désormais fantastiques, la souveraineté industrielle et le protectionnisme reviennent dans l’air du temps. Le dernier tabou, c’est la question fiscale.

On peut affirmer qu’il n’y a pas assez de profs ni de médecins, mais il est faux de dire qu’en France, on n’aime pas les riches.N’oubliez pas que nous sommes forts dans le secteur du luxe. Autant il n’y a en France pas de sentiment anti-riches, autant il est vrai de dire que les riches refusent de payer l’impôt. Il n’y a pas de problème à gagner de l’argent, tant que l’on paye ses impôts et que l’on participe à l’effort collectif à la hauteur de ses moyens.

Vous dites que « taxer les riches » permettra de financer la transition écologique. Mais les enjeux financiers sont considérables…

Les investissements nécessaires pour financer la transition écologique sont astronomiques et l’on sait que 60 % de ces investissements ne sont pas rentables. Un seul exemple : le réseau électrique nécessaire pour électrifier l’Europe coûtera à lui seul entre 800 et 1000 milliards d’euros. Tout ce que dit Renaissance sur la finance privée et le marché des capitaux qui assureraient le financement est faux : il faut de l’argent public. Donc on a décidé de régler le problème social, économique et budgétaire en taxant les multinationales, là où la fiscalité est la plus détruite. Il faudra aussi taxer les superprofits et les dividendes, dont le taux de taxation est inférieur à celui du travail. Il faut réparer la fiscalité qui a été détricotée par 40 ans de mondialisation et une idéologie prônant moins d’impôts pour les ultra-riches. 

Pourtant, en janvier dernier, l’Europe a voté l’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales dans l’Union européenne.

J’étais rapportrice sur le sujet au Parlement européen. Il s’agit en effet d’un signal politique très fort, qui avait été voté au niveau mondial par l’OCDE et qui a été transposé en Europe. C’est la fin de la course au moins-disant fiscal et il n’y a quasiment pas d’échappatoire. Ainsi, Apple passe de 0,5 % de taxation en Irlande à près de 15 %.  Seules la Hongrie et la Pologne étaient contre et menaçaient d’utiliser leur droit de veto comme une arme. La Commission européenne, qui refusait de débloquer les fonds votés en leur faveur, en raison de leur manquement aux règles, a fini par leur verser en échange de l’unanimité requise. Voilà pourquoi le vote à la majorité qualifiée est essentiel. Si l’on ne fait pas le saut vers une union fédérale, on accepte d’être gouverné par Viktor Orban… Nous, les sociaux-démocrates, réclamions un taux plus élevé de 21 %, mais les macronistes, en particulier, s’y sont opposés. À l’avenir, nous voulons monter le taux d’imposition de 15 à 25 % et y ajouter les dividendes versés et les rachats d’action. Mais cela prendra du temps.

Qui sont les « super-riches » que vous évoquez ?

Avec Gabriel Zucman, qui porte le combat mondial de l’impôt sur les ultra-riches, nous souhaitons, comme pour les multinationales, réparer la fiscalité de quelque 3 000 milliardaires mondiaux, dont 954 milliardaires européens. En y ajoutant les centimillionnaires, cela rapporterait de 56 à 200 milliards par an au budget européen. Quand on disait auparavant que l’on voulait taxer les riches, il y avait une confusion et les classes moyennes se sentaient visées. Ce n’est pas d’elles dont on parle ni de leurs revenus. Les riches, ce n’est pas Monsieur Tout le Monde et les taxer, c’est taxer leur patrimoine, pas leurs revenus. C’est comme lorsque l’on parle d’héritage : souvent, même ceux qui ne sont pas concernés par l’impôt sur la succession y sont opposés. En Italie, le parti démocrate a dû affronter une levée de boucliers quand il a voulu l’instaurer. Mon idée est donc de tout reconstruire, de réintégrer progressivement la nécessité de taxer les ultra-riches. Après les entreprises, les individus. Cela prendra du temps, mais cela avance plus rapidement que prévu, plus vite qu’avec les entreprises, pour lesquelles on a mis dix ans.

Sauf que votre initiative citoyenne n’a guère de chances d’aboutir. Il vous faut 1 million de signatures avant le mois d’octobre, vous en avez seulement 200 000, dont 100 000 en France. Comment allez-vous faire ?

C’est vrai que la campagne pour les élections européennes freine la collecte des signatures. À juste titre, les ONG ne veulent pas prendre parti pour l’un plutôt que pour l’autre, ce n’est pas leur rôle. Donc elles ne signent pas, même si nous avons reçu le soutien de la CFDT en France. Nous avons eu une session très active cette année au Parlement européen, où nous avons fait passer la taxation minimale de 15 % sur les multinationales, celle – temporaire – sur les superprofits des énergéticiens avec l’invasion de l’Ukraine, et aussi les échanges d’informations entre les administrations fiscales et la lutte contre les sociétés-écrans. Mais rien sur la taxation des individus : le commissaire social-démocrate en avait envie, mais pas le mandat. Nous avons voulu installer l’idée dans le débat public. Une initiative citoyenne a donc été déposée par 7 personnalités de 7 États membres, dont l’héritière de l’entreprise BASF, après l’appel en faveur de l’impôt mondial sur les milliardaires dans Le Monde de Gabriel Zucman, avec Joseph Stiglitz. À ce stade, nous avons effectivement recueilli 200 000 signatures sur le 1 million nécessaire et avons franchi le plancher en France (avec 100 000 signatures) et au Danemark. Nous allons tout faire pour tenter d’obtenir le reste. Je ne suis pas forcément optimiste, mais je reste combative.

En seulement 4 mois, n’est-ce pas mission quasi impossible ?

Quand il y a une volonté politique, tout devient possible. Il faut un changement idéologique et culturel où l’on se dit que la société est prête. Pour les multinationales, cela a pris dix ans, là tout va beaucoup plus vite. Pendant la campagne électorale, les autres partis comme Renaissance ont dû se positionner parce que nous portions cette proposition. En cela, c’est déjà une victoire. La campagne freine les signatures, mais accélère la bataille des idées. Et on sait que la bataille politique ne se gagne pas sans victoire culturelle au préalable. 

Propos recueillis par Valérie Lecasble

(*) Aurore Lalucq, économiste, députée européenne et femme politique française, est engagée aux côtés de Raphaël Glucksmann avec Place Publique

Valérie Lecasble

Editorialiste politique