Avignon sublimé par Tiago Rodrigues

par Jérôme Clément |  publié le 19/07/2024

Le festival 2024 a séduit le public et son directeur en a aussi été l’un des plus beaux créateurs, avec un « Hécube… pas Hécube » qui a embarqué ceux qui ont eu la chance de le découvrir.

"Hecube, pas Hecube" à la Carrière de Boulbon Photo CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Festival bousculé, mais festival réussi. C’était pourtant une gageure de gagner le pari d’une manifestation démarrant plus tôt, à cause des jeux olympiques, et perturbée par les évènements politiques, élections législatives obligent. Pourtant cette édition a regorgé de talents, de nouveaux auteurs et comédiens, mêlés aux metteurs en scène confirmés, de Mohamed el Khatib qui s’interroge sur « La vie secrète des vieux », à Warlikovski célébrant la place de l’artiste à partir de l’écriture de l’australienne « Castello », ou encore Lorraine de Sagazan, dont le « Léviathan » met en cause la justice.

Double coup de chapeau à Tiago Rodrigues, remarquable directeur du festival, auteur et metteur en scène d’un spectacle qui nous a enthousiasmés dans ce lieu magnifique qu’est la Carrière de Boulbon. « Hécube… pas Hécube », titre de sa pièce qui s’inspire de la tragédie d’Euripide et de l’histoire de l’ancienne reine de Troie, devenue esclave révoltée face à Agamemnon devant qui elle défend son fils. Nous assistons à la répétition de la pièce et voyons Nadia, actrice, être progressivement absorbée par sa propre vie et les maltraitances dont a été victime son fils autiste dans un établissement spécialisé à Paris.

Percussion

La souffrance de cette mère nous livre, ce faisant, une puissante réflexion sur la fonction du théâtre dans la cité. Euripide aide Nadia à vivre son propre drame. La mythologie aide à comprendre la tragédie de toutes les mères révoltées par le sort injuste de leur enfant. Douleur, larmes, les mots de Nadia/Hécube nous touchent profondément à cause de cette percussion entre le présent et le théâtre grec. Le texte retentit dans le décor sauvage de la Carrière de Boulbon. Il met en cause le rôle de la justice, le fonctionnement de l’État, la responsabilité de chacun au sein des institutions. Un texte qui donne le vertige grâce à la force des mots de Tiago Rodrigues.

Elsa Lepoivre est une Nadia/Hécube formidable, comme Denis Podalydès, Agamemnon impressionnant et procureur implacable. La troupe de la Comédie-Française fait vivre une expérience théâtrale qui fait du bien. Oui, car c’est la force du théâtre de nous embarquer ailleurs, dans une histoire d’hier et/ou d’aujourd’hui, de nous faire pleurer ou rire. Dans cette période si éprouvante pour nos nerfs politiques, le théâtre du Festival d’Avignon donne espoir par la beauté et l’intelligence de ceux qui le fabriquent. Le public attentif, nombreux, recueilli l’a bien compris et l’affluence en cet été 2024 réconforte sur l’absolue nécessité de la culture, dans notre monde si difficile à vivre et à comprendre.

Jérôme Clément

Editorialiste culture