Barbie: la vie en rose et bleu
Vous l’avez manqué ?
N’allez pas voir Barbie, le grand succès piquant de l’été pour y trouver l’équivalent d’une thèse de doctorat consacrée aux rapports de genres, au patriarcat, à la domination, à l’éducation des petites filles, à la sororité des femmes en luttes, etc.
Non. Produit par Warner Brothers, réalisé par l’épatante Greta Gerwig avec Margot Robbie et Ryan Gosling, Barbie est avant tout… un film de divertissement qui n’a peur de rien, tout en couleurs et en punchlines.
Constitué de quatre parties – savoureux quatre-quarts – il propose en cascade autant de modalités d’organisation de la vie et des rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes, une production intensément américaine, et politique à sa façon, qui témoigne à merveille de nos errances genrées.
Vous ne connaissez pas encore l’intrigue ? Vous habitez sur Mars ? Bon. Résumons.
Dans mon premier quart, je suis dans un monde sucré où les Barbies dominent la ville et les hommes, incarnés par Ken.
Dans mon deuxième quart, Barbie a des pensées tristes, ce qui ne lui est jamais arrivé. Elle va voir une vieille sage de Barbiland qui attribue sa crise existentielle aux états d’âme de sa propriétaire dans le monde réel. Barbie part donc avec son copain Ken et l’un comme l’autre découvre à leur grande stupeur que dans ce monde « réel » , les hommes dominent les femmes.
Au troisième quart, Barbie, qui a retrouvé sa propriétaire et la fille de celle-ci, des féministes horrifiées par le patriarcat, décide de les ramener à Barbiland pour leur montrer le meilleur des mondes. Horreur, Ken les a devancées et a pris la tête de la revanche masculine.
Dans mon dernier quart, les Barbies dont l’intelligence surpasse en tous points les Ken vont retourner la situation et proposer un compromis.
En feignant de se situer à ras de plancher, Barbie est un film qui joue de toutes les gammes du second degré. Tous les sujets chers à la critique de nos sociétés y passent, de sorte qu’il ne soit pas reproché au scénario de les passer sous silence. Si Barbie est un gigantesque écran publicitaire pour les poupées de Mattel (dont les ventes ont connu 20 % d’augmentation depuis les sorties en salles, tout de même…), il prend soin de railler le grand capital et de citer la fraude fiscale pour laquelle la fondatrice de Barbie a été condamnée.
Les dialogues permettent tour à tour de prendre en charge tout ce que nous pouvons penser sur les rapports de genres sans oser le dire à voix haute. La couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’appropriation culturelle ne sont pas davantage oubliées dans la gamme des incontournables. Encore que le sexe soit bien absent…
Au fond, Barbie est un film qui prend le spectateur au sérieux. Pas plus que les enfants ne confondent la morphologie d’une poupée et celle d’une personne humaine, Greta Gerwig ne doute que ses spectateurs sauront faire la différence. À travers les caricatures qu’elle prend un malin plaisir à camper, la réalisatrice propose une nouvelle variation sur ce grand sujet du cinéma américain que sont le bien et le mal.
Avec un humour à peine dissimulé derrière des chorégraphies de pacotilles et une esthétique couleur Barbie, elle nous propose de nous divertir tout en réfléchissant à la manière dont nous vivons, et dont nous pensons notre vie. « Tu fais tout de travers », se dit Barbie à elle-même, « et tout est de ta faute ».
Dans longtemps, lorsque nos descendants iront revoir ce film, ils se diront sans doute qu’à l’époque, nous n’étions encore qu’à la préhistoire de l’âge adulte.