Bardella piège le RN
Par inadvertance, le président du parti de Marine Le Pen exclut Marine Le Pen de la course présidentielle, puis rame comme un malade…
À BFM, Jordan Bardella est interrogé sur certains candidats de son parti condamnés en justice. Réponse claire et nette : à l’avenir, tout candidat ou toute candidate du RN devra avoir un casier judiciaire vierge. « Ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire, dit-il d’un ton martial, est pour moi la règle numéro une lorsqu’on souhaite être parlementaire de la République ».
Réflexe de Maxime Switek, journaliste de BFM : « Et Marine Le Pen ? Si elle est condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires européens, elle ne pourra pas se présenter ? ». Blanc. Pris de court, Bardella sort les rames. Si elle est condamnée, dit-il, elle fera appel et cet appel rend tout prévenu « plus blanc que blanc ». Sauvée ? Non : quid si Marine est condamnée en appel avant la présidentielle ? Réponse de Bardella : « elle ne sera pas condamnée puisqu’elle est innocente ». Rires étouffés dans la salle… Tous ceux qui ont assisté au procès estiment que la condamnation est inévitable. Et donc, si le jugement définitif a lieu avant la présidentielle, le jeune président du parti vient de rendre sa patronne inéligible, selon les critères mêmes du RN.
Déjà, les gazettes dissertent sur le croc-en-jambe de Bardella à Marine, sur sa volonté supposée de prendre sa place, sur l’avenir assombri de la triple candidate à la présidentielle. Césarette trahie par Jordanus Brutus, « tu quoque mi fili… » Diable ! Il y a le feu au lac, il faut trouver une parade. Comment désavouer Bardella sans le désavouer ? Comment justifier la candidature d’une condamnée en justice quand son dauphin l’a implicitement, mais clairement écartée ?
Par le jésuitisme, d’abord, puis par le complotisme. Le lendemain soir, sur BFM toujours, Jean-Philippe Tanguy, le jeune homme qui monte au RN, introduit un subtil distinguo : les candidats RN dont Bardella ne veut plus étaient condamnés pour des actes violents ou des délits crapuleux. Rien à voir avec Marine, qui est accusée d’avoir mal interprété certaines règles du Parlement, péché véniel. Les interlocuteurs journalistes se récrient : les magistrats, qui appliquent la loi, estiment que ce n’est pas un péché véniel, que le code pénal a prévu des peines de prison, qu’ils exigent même l’inéligibilité, bref que la distinction proposée par Tanguy revient à peindre en oie blanche une candidate convaincue de détournement de fonds, etc.
Troublé, Tanguy bat en retraite sur la ligne Bardella : même si elle est déclarée coupable par deux juridictions successives, Marine est innocente. En vertu de quel miracle ? Parce que le procès est politique, parce que les magistrats sont de parti pris, parce que la justice n’en est pas une, tout entière au service du « système ». Et donc, serait-elle noire comme du charbon aux yeux des tribunaux et son casier judiciaire plein comme un oeuf, Marine sera candidate.
Résumons. Spéculation paranoïaque, opprobre jetée sur une justice qu’on exhorte par ailleurs à être implacable, théorie du complot avancée sans l’ombre d’un commencement de preuve, mépris abyssal pour la logique la plus élémentaire, incohérence assumée, recours à des vérités alternatives : tel est le débat politique vu par le Rassemblement national.