Barnier, le sinueux à Matignon

publié le 05/09/2024

Certains ont parfois émis quelques jugements expéditifs à l’égard du nouveau Premier ministre. En fait, l’homme, fort aimable au demeurant, a souvent joué les anguilles au sein de la droite : il y a un mystère Barnier. Par Valérie Lecasble et Laurent Joffrin

Michel Barnier, homme politique français, à l'Hôtel des Invalides à Paris, le 5 janvier 2024 - Photo Ludovic MARIN / AFP

Jacques Chirac, qui affectionnait le style corps de garde, l’appelait « le grand con ». Selon d’autres sources, qui jugent ce qualificatif excessif, corrigent en précisant que l’ancien président le surnommait en fait « la grande andouille ». Nuance importante… Grand, Michel Barnier l’est à coup sûr, par la taille en tout cas, ce qui le distingue de Ciotti. Peut-être aussi par l’intelligence, tout est relatif. Michel Audiard disait : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît ». Michel Barnier a donc osé accepter le poste de Premier ministre offert par le souverain Macron faute de mieux, avec l’onction de la bonne fée Marine Le Pen. Osé, en effet…

Barnier a été plusieurs fois ministre et, surtout, commissaire européen chargé de négocier le Brexit pour le compte de l’Union. Pour l’avoir rencontré à cette époque-là, nous pouvons témoigner que le jugement de Chirac était expéditif. Barnier a bataillé bec et ongles pour préserver les intérêts de l’Union dans cette épineuse affaire, se promenant partout avec un tableau compliqué qui résumait les positions des uns et des autres et dont il inondait les journalistes avec force chiffres et graphiques qui donnaient le tournis.

Il avait ainsi acquis une réputation de compétence technique et de sens de la conciliation qui rehaussait sa réputation d’homme de droite ouvert, quoique quelque peu sinueux. Natif de la Savoie, il est rompu à l’exercice montagnard, de pentes raides en vallées profondes, qui donne à son parcours un profil sinusoïdal. Il est entré en politique à l’UDR, encore en culottes courtes, pour collaborer avec plusieurs élus ou ministres chiraquiens avant de devenir le plus jeune député de France. Autant dire que ce n’est pas un perdreau de l’année…

Il semble ouvert, moderne, progressiste, ce qui ne l’empêche pas de voter en décembre 1981 contre l’abrogation de la loi qui proscrit les relations homosexuelles pour les jeunes gens avant 18 ans, quand les relations entre hétérosexuels sont autorisées à partir de 15 ans. En revanche, il vote, comme Chirac l’abrogation de la peine de mort.

Il est ensuite ministre de l’Environnement, puis des Affaires européennes dans un gouvernement Chirac alors qu’il a soutenu Balladur contre son ancien mentor. Il est encore ministre de l’Agriculture, puis des Affaires étrangères dans des gouvernements de droite, ce qui est un hommage à sa ductilité partisane. Il est vrai que de l’andouille à l’anguille, il n’y a pas loin…

Il a en fait un côté caméléon de bénitier. Il habite en face de l’église Sainte-Clothilde dans le 7e arrondissement de Paris, dont il est l’un des fidèles, haut lieu du catholicisme parisien traditionnel (mais pas intégriste…) mais fait ses courses dans le 6e arrondissement à vélo. Un catho bobo, en quelque sorte, hostile toutefois au mariage pour tous. De réputation modérée, il se prononce néanmoins pour la retraite à 67 ans (contre 60 ou 62 ans pour le RN), pour une immigration strictement contrôlée ou pour une orthodoxie financière sans failles.

Son habileté et sa maîtrise de domaines très différents nourrissent chez lui l’ambition présidentielle. Il se lance à la conquête de l’Élysée pour l’élection de 2022, crée un cercle de pensée – eh oui ! – et affronte dans la primaire Éric Ciotti et Valérie Pécresse. C’est là que son tempérament divers et onctueux se manifeste encore : alors qu’il est rangé le plus souvent parmi les LR européens et centristes, il propose tout à trac un moratoire total sur l’immigration (une idée que le RN n’avait pas eue) et avance l’idée de rompre avec les législations internationales protectrices des droits individuels pour pouvoir mener une politique d’immigration beaucoup plus restrictive. Est-ce là d’où vient l’indulgence dont Marine Le Pen fait aujourd’hui preuve à son endroit ? À quelque chose, en tout cas, la mauvaise action est bonne…

Valérie Lecasble

Laurent Joffrin