Bas les masques !
S’exprimer sur le port du voile est forcément périlleux. À gauche, l’excommunication n’est jamais loin, entre procès en « islamophobie » et accusation de courir après l’extrême-droite. Une défaite idéologique.

La proposition consistant à interdire le port du voile lors de rencontres sportives a abouti à un débat pratique. L’espace d’application de la laïcité, le caractère public d’un stade, les règles des différentes fédérations sportives – jusqu’à celles de l’olympisme – sont autant de paramètres évoqués. C’est une manière d’aborder le problème. Malheureusement, cette question de droit omet la signification de ce couvre-chef attribué aux seules femmes. Mal à l’aise, la gauche, héritière de son arrachement à la puissance du curé et aux superstitions religieuses, n’ose désormais plus les afficher lorsqu’il s’agit de l’imam.
Ne peut-on être un partisan scrupuleux de la liberté religieuse et des libertés fondamentales contenues dans la Déclaration des Droits de l’Homme tout en se préoccupant de l’offensive religieuse en cours dans les démocraties libérales ? En est-on arrivé à ce point d’hypocrisie et d’incurie confondues qu’il soit devenu impossible de critiquer l’existence de dieu tout en défendant naturellement le droit à tout un chacun(e) de se promener avec les signes de soumission de son choix. Oui mais, à la condition de ne pas tout confondre sous peine de mélanger dictatures et régimes de liberté, dont la laïcité est une des garanties.
Le débat actuellement posé n’a rien d’illégitime et il ne saurait y avoir une « police du vêtement » comme on l’entend chez LFI, osant la comparaison infâmante avec les théocraties islamistes. C’est ce même sophisme qui avait permis aux islamo-populistes d’organiser des regroupements devant les établissements scolaires en soutien au port de l’abaya. La réalité de l’offensive religieuse est actée par de nombreuses études, notamment dans les quartiers populaires. La ségrégation des femmes, instrument de la domination patriarcale et religieuse, est vieille comme la révélation des trois monothéismes. Ne pas le dire est une faute historique, ne pas le reconnaître est une erreur morale, ne pas le regarder en face est une faiblesse politique coupable lorsque l’on se réclame de la gauche.
Naturellement, le port du voile comme asservissement à cet ordre divin et patriarcal peut être imposé, consenti, réclamé, inconscient, attendu ou intégré, mais sa perception ne saurait en modifier le sens. Or, la radicalisation des pratiques religieuses, la quête identitaire parfois vécue comme incompatible avec le modèle universel républicain, l’abaissement de l’âge des pratiques religieuses pour des enfants pris dans des étaux communautaires dont ils sortent difficilement, ne sont pas contestables.
C’est à la lumière de ce contexte, qu’il faut apprécier le malaise de la société française à l’égard de revendications religieuses toujours plus poussées, dans l’entreprise, à l’école, dans les lieux publics, à la piscine, jusque sur les terrains de sport, pourtant destinés à socialiser et créer du commun.
Lionel Jospin, alors ministre de l’éducation en 1989, lorsque les premières revendications religieuses ont bousculé l’institution scolaire à Creil, a courageusement reconnu le péché de la gauche. Non par angélisme comme on le dit trop fréquemment, mais parce qu’elle a considéré, au contraire que la fermeté allait mécaniquement renforcer la position des radicaux islamistes dans leur quête de fragmentation de l’espace républicain. Trente ans après, le bilan est sans appel, c’est le recul face aux revendications religieuses qui crée la dynamique de la radicalisation parmi les plus jeunes, sur fond de querelles identitaires indigestes.
Que devrait donc dire la gauche ?
Peut-être pourrait-elle rappeler dans un premier temps que les héritiers de la pensée conservatrice voire réactionnaire sont mal placés pour se draper dans le linceul d’une laïcité menacée. Maurras a été aussi laïque qu’il a été féministe et défenseur des Juifs. Autrement dit, il ne s’agit pas de nier l’obsession anti arabe d’une partie des promoteurs de la proposition de loi par le truchement de la lutte contre l’Islam et ses signes ostentatoires. Mais en quoi cette instrumentalisation interdirait-elle à la gauche de rappeler le caractère égalitaire de son projet, dépassant l’oppression sexiste dont la loi coranique se revendique ? Comment taire le sort tragique des femmes embastillées sous le joug religieux sans y opposer un féminisme conquérant forcément laïque et universaliste ? Impossible, sans une légère dose de courage et de cohérence dans la lutte pour l’émancipation.