Bayou au pilori

par Laurent Joffrin |  publié le 04/04/2024

Son ex-compagne l’accuse, la rumeur publique le soupçonne, son parti l’accable. Julien Bayou a démissionné de son groupe et de son parti. Dégoût ou aveu de culpabilité?

Le député EELV Julien Bayou - Photo Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Julien Bayou est-il un salaud ? C’est possible. Son ex-compagne l’accuse, la rumeur publique le soupçonne, son parti l’accable. Il y a quinze jours, à la suite d’un témoignage circonstancié, le député avait été « suspendu à titre conservatoire » de son groupe parlementaire, décision qui n’avait pu être confirmée, faute d’une majorité suffisante. Écoféministe radicale, Sandrine Rousseau avait vivement protesté contre cette absence de sanction. Elle peut finalement se réjouir : hier, à la suite d’une plainte déposée pour « harcèlement moral » et « abus frauduleux de l’état de faiblesse », Julien Bayou a démissionné de son groupe et de son parti. Dégoût ou aveu de culpabilité ? Il est clair, en tout cas, que sa carrière politique est compromise, sinon terminée.

Apparemment, la décision du député écologiste a été déclenchée, non seulement par les deux plaintes de son ex-compagne, mais aussi par l’attitude du parti vert, qui a fait appel à un cabinet extérieur spécialisé dans la détection des violences sexistes et sexuelles pour instruire l’affaire. Selon Le Monde, citant un proche de Bayou, cette nouvelle procédure est « la goutte d’eau de trop », alors qu’il était déjà soumis à une enquête interne et qu’il va être entendu par la justice.

Bayou est-il coupable ? À ce stade, personne ne peut le dire avec certitude. Il est accusé de « violences psychologiques », forfait dont ses accusatrices disent elles-mêmes qu’il est difficile à établir en justice, et d’un « baiser volé », arraché il y a dix ans et dénoncé par une militante du parti. Il est fort possible qu’on en apprenne plus et que son cas soit passible d’une condamnation devant un tribunal. Mais ce n’est pas sûr. On ne le saura – peut-être – qu’au terme d’une longue enquête et d’une décision de justice. En attendant, Bayou est condamné : il quitte son groupe et son parti, son nom est sali et sa réputation détruite.

Problème

Est-ce juste ? Oui s’il est coupable. Non s’il est innocent. C’est le léger problème que la gauche radicale, en pointe dans la dénonciation des violences faites aux femmes, ne parvient pas à résoudre. En principe, depuis 1789 au moins, il était entendu qu’en pareil cas, on attendait, pour condamner un suspect, de disposer des preuves attestées par un tribunal dûment constitué. Dans l’intervalle, ledit suspect bénéficiait de la « présomption d’innocence », qui préservait ses droits et suspendait toute condamnation prématurée.

De toute évidence, ces précautions et cette lenteur sont, aux yeux d’un certain féminisme, superfétatoires. Pour une Sandrine Rousseau, la « parole des femmes » suffit. Le reste n’est qu’atermoiement sexiste et louche protection des prédateurs. L’ennui, c’est que « le reste » en question forme le pilier essentiel de la justice en démocratie, qui postule que la sanction découle d’un jugement en bonne et due forme, obtenu selon des règles de procédure longuement éprouvées, qui ménagent à la fois l’intérêt public, les droits des victimes et ceux des accusés. Visiblement, la radicalité à la sauce Rousseau n’a que faire de ces principes. Si Bayou est accusé, c’est donc qu’il est coupable. Si telle est la vérité, dira-t-on, ce n’est pas très grave. Certes. Mais s’il est innocent, celles et ceux qui l’accusent pourront-ils se regarder sans malaise dans une glace ?

Laurent Joffrin