Matignon au forceps

par Valérie Lecasble |  publié le 13/12/2024

C’est contraint et forcé qu’Emmanuel Macron a nommé le patron du Modem à Matignon, dont il n’apprécie guère le caractère. C’est aussi sa dernière carte dans un jeu politique d’une extrême tension.

François Bayrou, président du parti du mouvement démocrate MoDem, le parti centriste, dans les jardins de l'Elysée à Paris, le 23 août 2024. (Photo Umit Donmez / Anadolu via AFP)

Il réalise donc à 73 ans le rêve de sa vie : devenir le Premier ministre de la France. Il ne pouvait imaginer une meilleure configuration : tenter de réunir l’ensemble de la classe politique, de la gauche à la droite, en n’excluant que les extrêmes, LFI et le RN.

Rassembler au-delà des clivages politiques est le mantra de François Bayrou qui l’a théorisé tout au long de son parcours. A la veille de l’élection présidentielle de 2017, voyant qu’il n’y parviendrait pas lui-même, il adoube Emmanuel Macron qui allait le réaliser pour lui. Grâce à son soutien décroché par l’ami de Macron Philippe Grangeon, son jeune poulain accède à l’Élysée.

Nommé ministre d’État, Garde des Sceaux, François Bayrou est récompensé avec ce prestigieux poste de ministre de la Justice. Patatras ! La démission de sa collègue du Modem, Sylvie Goulard du ministère de la Défense, menacée d’une mise en examen pour emplois fictifs de parlementaires européens, l’entraîne dans sa chute, et avec lui sa fidèle parmi les fidèles, Marielle de Sarnez qui décèdera quelque temps plus tard. Un mois après avoir été nommé, le voilà contraint de quitter précipitamment les ors de la République.

François Bayrou accuse le coup, amer d’avoir été mis par le Président de la République dans le même sac que Sylvie Goulard, avec laquelle il était au sein du Modem en conflit ouvert.
Il est mis en examen à son tour et cette affaire d’emplois fictifs lui empoisonne la vie pendant sept ans, l’empêchant de prétendre au moindre maroquin. Finalement relaxé lors de son procès en première instance, il reste aujourd’hui sous le coup d’un appel du parquet. Mais cette fois, cela ne l’empêche plus d’accéder à Matignon.

La réalité est qu’à l’époque, Emmanuel Macron avait été soulagé d’éloigner du gouvernement cet allié trop encombrant. Le patron du Modem a beaucoup de bouteille et veut imposer ses vues. Le jeune Président est alors peu expérimenté et entend gérer le pays à sa guise. Exit donc le président du Modem.

Mais François Bayrou, le fidèle, reste dans les parages. Les deux hommes continuent à se côtoyer et à échanger. Ce fameux « en même temps », n’est-ce pas en réalité François Bayrou qui l’a inventé ? Fort de ses préceptes, il continue à conseiller le Président. Tout le monde connaît François Bayrou mais peu savent qui il est vraiment. Il a la réputation d’avoir un caractère difficile. Il est imbu de sa personne, et imprévisible avec ses airs de faux gentil, jamais là on l’attend. Pendant 40 ans de carrière politique, où il a été implanté à Pau son fief dont il a été maire, député, président du conseil général, il n’a occupé qu’un seul poste de ministre, celui de l’Éducation Nationale où son action pendant quatre ans sous Edouard Balladur a été assez peu appréciée.

C’est aussi lui qui a réduit comme peau de chagrin le nombre de ses députés, pléthorique lors de sa présidence pendant dix ans de l’UDF, le parti héritier de Valéry Giscard d’Estaing et allié au RPR, et devenu quasi-peau de chagrin aujourd’hui ne comptant plus que 36 députés.
« Il est insupportable, on ne peut pas travailler avec lui », lançaient alors invariablement ceux qui ont préféré tour à tour, raccrocher les gants, déçus de ne parvenir à s’imposer à ses côtés.

Acculé, ne pouvant de nouveau échouer, c’est contraint et forcé qu’Emmanuel Macron donne aujourd’hui les rênes de Matignon, à ce ténor de la politique en faisant – enfin – fi de l’ire de Nicolas Sarkozy. Les deux hommes vont-ils s’entendre ? Jusqu’au dernier instant, Emmanuel Macron a tenté, sans succès de trouver une autre solution.

François Bayrou peut séduire la gauche. Outre qu’il a appelé à voter Ségolène Royal puis François Hollande lors du second tour de deux élections présidentielles, il porte en lui des valeurs chrétiennes de lutte contre les inégalités. Ainsi, lors de la récente discussion budgétaire, c’est le Modem qui a proposé les amendements visant à surtaxer les plus riches et les plus grosses entreprises, entraînant à ses côtés le vote du Nouveau Front Populaire. La rumeur court d’ailleurs qu’un Boris Vallaud ou un Philippe Brun, séduits par son discours d’ouverture seraient tentés de le rejoindre, provoquant la riposte cinglante d’Olivier Faure se proposant d’exclure du PS tout socialiste qui participerait à un gouvernement qui ne serait pas de gauche.

Car au fond, François Bayrou est de droite. C’est aussi un démocrate qui a considéré que Marine Le Pen ne pouvait être empêchée de se présenter à la présidentielle. Saura-t-il sortir le pays de la situation impossible dans laquelle il se trouve aujourd’hui ? Laissons-lui pour l’instant, le bénéfice du doute.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique