Bayrou, la malédiction du centrisme
Le chef du Modem devait entrer au gouvernement après son blanchiment par la justice. Las ! Centriste pur sucre, il succombe a son ambigüité originelle.
On ne peut dénier à François Bayrou une grande fidélité : centriste il est depuis son entrée en politique, centriste il est toujours, plus de cinquante ans plus tard. Il a commencé aux côtés de Jean Lecanuet, jeune premier du juste milieu, il gravite aujourd’hui autour d’Emmanuel Macron, jeune président du « en même temps ». Réelle continuité. Au vrai, c’est le centrisme lui-même qui pose problème : toujours entre deux chaises, entre deux eaux, entre deux idées, entre deux destins. Une hydre à deux têtes, un Janus central, une divinité biface, qui louvoie dans un vide de la politique.
Comme en écho, ses mésaventures judiciaires sont le symbole même de cette ambigüité. Il est innocent faute de preuves, dit le tribunal : tant mieux pour lui. Mais la justice a condamné la plupart de ses collaborateurs pour usage irrégulier de l’argent européen. Tous coupables sauf lui, qui était leur chef : le Modem était donc géré d’une bien étrange façon. Le parquet a fait appel, nous verrons bien.
Centriste fidèle, donc : il a oscillé toute sa vie en lisière des partis conservateurs, contre la droite mais tout contre, avec quelques incursions à gauche au temps baroque de Ségolène Royal, obstiné dans son idée de briser les chiens de faïence du bipartisme. Mais c’est Macron et non lui qui a ramassé enfin les morceaux de ce « big bang », avant de dériver lui aussi vers la droite, tandis que Bayrou, empêché de participer au gouvernement par une mise en examen malencontreuse, regardait passer le train sinueux du centrisme enfin au pouvoir. Rageant, pour celui qui avait théorisé depuis si longtemps cette idée de troisième force incarnée par le macronisme.
Gascon sanguin et fier, Bayrou a lui-même claqué la porte qu’on ne lui ouvrait pas assez grand : geste respectable, quoique peut-être irréfléchi.
Blanchi par la justice, il pouvait enfin assouvir son désir de gouverner. Mais les discussions ont mal tourné, menées par un jeune Premier ministre qu’il avait jugé trop vert pour la fonction et qui n’était guère pressé de satisfaire ses hautes ambitions. Gascon sanguin et fier, François Bayrou a lui-même claqué la porte qu’on ne lui ouvrait pas assez grand : geste respectable, quoique peut-être irréfléchi. Du coup, le candidat déçu déclare qu’il y a entre lui et ce gouvernement des divergences profondes, sans dire lesquelles. Déclaration étonnante : Bayrou semble découvrir après deux ou trois années de dérive conservatrice que la ligne suivie par les macroniens n’est pas la sienne. Il semble entrer dans l’opposition, mais proclame aussitôt sa fidélité à la majorité qu’il fustige. Allez comprendre.
Mais l’homme n’est pas vraiment en cause : il est courageux et refuse de plier pour un simple maroquin. Respect. C’est le centrisme le coupable, poursuivi par la malédiction de l’indéfinition. Catholique revendiqué, Bayrou vénère en fait le Dieu de Pascal : une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part.