Bayrou : le scénario noir
Le Premier ministre est la cible de toutes les attaques. La vigueur des oppositions, du RN aux socialistes, la cacophonie des ministres et le procès en immobilisme, conjugués au regain d’Emmanuel Macron, alimentent les spéculations sur son possible départ.

Il y a 100 jours – une éternité… – François Bayrou arrive à Matignon. Le vent en poupe, le Premier ministre négocie avec succès la non-censure qui donne enfin un budget à la France. On le croit en route pour 2027. Mais la rupture provoquée par Donald Trump depuis le 20 janvier bouleverse la donne. Emmanuel Macron, que l’on croyait politiquement mort, ressuscite soudain.
Fort de son expérience de doyen parmi les chefs d’État européens, appuyé sur la puissance militaire de la France et sur son engagement en faveur de l’Europe de la défense, le président revient sur le devant de la scène et regagne un peu de popularité auprès des Français. Symétriquement, François Bayrou dégringole, en recul brutal de 11 points, et la classe politique s’interroge : passera-t-il l’été ? L’improbable scénario noir de sa chute prochaine gagne en crédibilité.
Embarrassé par l’affaire Betharram, accusé de ne pas travailler, le Premier ministre est la cible de toutes les attaques. Marine Le Pen fait part de son courroux. L’accueil bienveillant qu’elle a réservé à François Bayrou et l’abstention du RN qui a permis l’accession de Richard Ferrand à la tête du Conseil Constitutionnel, suscitent l’incompréhension de son électorat, au moment où l’étau de ses affaires judiciaires se desserre. Libérée selon toute vraisemblance de l’exécution provisoire d’une condamnation probable le 31 mars – grâce à l’inconstitutionnalité de la mesure que pourrait prononcer le Conseil Constitutionnel le 28 -, la leader du RN a tout intérêt à accélérer le rythme qui la conduira à sa candidature à la présidentielle. Elle fourbit à nouveau l’arme de la censure, épaulée par Jordan Bardella, qui se voit déjà Premier ministre à l’automne.
Les socialistes multiplient eux aussi les menaces : Olivier Faure relève qu’en bloquant la perspective d’un âge pivot à 62 ans, Bayrou a rompu sa promesse – énoncée en échange de la non-censure du budget 2025 -, de donner leur chance aux partenaires sociaux pour négocier une nouvelle réforme des retraites moins injuste que celle de 2023. Pendant ce temps, en coulisses, la candidature de Boris Vallaud fragilise le Premier secrétaire, alors que son ex-ami devenu son rival a conquis 10 à 15 % des votes de leur courant commun en vue du Congrès du PS. Affaibli auprès de ses partisans, Faure risque dès lors de tomber si les deux courants d’opposition fusionnent, ce qui est vraisemblable.
Jouera-t-il la carte du pire en faisant chuter le gouvernement ? Profitera-t-il de la crise politique pour retarder le Congrès, comme il l’avait fait lors de la crise du Covid ? Même s’il est convaincu que les socialistes ont besoin de stabilité pour préparer la présidentielle de 2027, François Bayrou aurait tort de négliger cette éventualité.
D’autant qu’il affronte le désordre au sein de son propre camp. En vue de la présidentielle à laquelle ils se préparent tous, les ténors de la droite ne veulent pas paraître complices de l’immobilisme du gouvernement. Edouard Philippe fustige un conclave qui n’aurait, selon lui, jamais dû exister. Bruno Retailleau part en croisade contre l’Algérie, avant d’être déjugé par Emmanuel Macron qui cherche à calmer le jeu. Darmanin menace de démissionner si le voile dans le sport n’est pas interdit contraignant Bayrou à recadrer ses ministres.
La vigueur des oppositions, la cacophonie gouvernementale et le procès en immobilisme, obligent François Bayrou à sortir une feuille de route, tel un mauvais élève qui doit revoir sa copie. Il annonce des projets sur l’éducation, les finances publiques, la simplification bureaucratique et la santé, sans que l’on sache ce qu’il y a dedans. Peut-il inverser le scénario sur lequel les planètes semblent s’aligner ? Il lui reste peu de temps…