BD : « Celle qui parle » , une femme entre deux mondes

par Yoann Taieb |  publié le 24/07/2023

A l’époque des conquistadors espagnols, le roman graphique d’Alicia Jaraba met en avant une personnalité controversée, prise dans le torrent de l’histoire, la Malinche

Tenochtitlan,1519. Sur les pontons qui relient la capitale des puissants aztèques, construite sur les eaux, jusqu’à la terre ferme, deux hommes se font face. Hernan Cortés, conquistador espagnol, venu pour l’or et les richesses et Moctezuma, empereur ou Tlataoni des Aztèques. L’Ancien Monde rencontre le Nouveau, mais ils ne se comprennent pas. Jusqu’à ce qu’intervienne « celle qui parle ». Elle fait la traduction entre les deux interlocuteurs, mais n’arrêtera pas la guerre.

Elle, c’est Malintzin, Malinali ou encore Doña Marina pour les Espagnols. Une noble, issue du village de Cholula duquel elle a été enlevée et réduite en esclavage par les Mexicas. Traînée de clan en clan au gré des guerres et des affrontements, elle se trouve sur le chemin des Espagnols qui ont besoin d’elle. Elle est douée d’une grande intelligence, apprend vite les langues et comprend. C’est décidé, elle sera la traductrice officielle du conquistador Cortés. Sa parole est d’or pour les uns, mais mortelle pour son peuple puisqu’elle favorise la progression des conquérants.

C’est le portrait d’une femme controversée encore de nos jours. Pour les Mexicains, elle est une traîtresse qui a vendu son peuple et sa culture à l’avidité des Espagnols. Pour d’autres, c’est une figure féministe, intelligente et cultivée, qui a su se jouer d’hommes guerriers uniquement préoccupés par l’or.

Son histoire est celle du métissage culturel dont nous sommes tous issus et montre, dans une certaine mesure, à quel point l’on peut se retrouver déchiré entre deux mondes opposés. La Malinche est une passerelle entre deux cultures puisqu’elle aura un enfant avec Cortés, Martin, qui sera considéré comme le premier enfant issu de la rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

L’auteure, Alice Jaraba, propose, tout au long des 200 pages, de découvrir l’histoire singulière de cette jeune femme dont on n’entendra plus parler après 1528. Le scénario est bien ficelé, mélangeant à la fois les faits historiques, la violence de l’époque, mais aussi des scènes crues. Les dessins vous font plonger dans l’atmosphère, les couleurs, superbes, accentuent la dramaturgie et l’exotisme des lieux. Une BD à lire, façon de découvrir une histoire méconnue.

« Celle qui parle » par Alicia Jaraba

2022, 216 pages, Grand Angle éditions

Yoann Taieb