Benzema : la charge de Darmanin

par Valérie Lecasble |  publié le 21/10/2023

En désignant Karim Benzema comme un proche des Frères musulmans responsables de l’islamisme radical en France, le ministre de l’Intérieur lève un tabou. Au risque d’exacerber les tensions communautaires

Gerald Darmanin, ministre français de l'Intérieur, lors de l'inauguration officielle du quartier général de l'unité tactique RAID ("Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion") à Marseille le 12 septembre 2023 - Photo Nicolas TUCAT / POOL / AFP

Le voilà au pied du mur. Depuis des mois, Gérald Darmanin porte le projet de loi sur l’immigration à la recherche d’une introuvable majorité. Et désormais désavoué par les Français.

Le couperet est tombé le lendemain de l’enterrement de Dominique Bernard, professeur de français assassiné. Un sondage Odoxa-Backbone Consulting dresse un constat sévère : 69 % des Français ne croient pas en l’efficacité de son projet de loi sur l’immigration pour réduire la menace du terrorisme islamiste, et 78 % ont une mauvaise opinion de l’action du gouvernement en la matière. Pire, Gabriel Attal, son rival, recueille un indice de confiance, de deux-points supérieur au sien.

Pour le ministre de l’Intérieur, la claque est brutale. Au gouvernement depuis six ans, et à la Place Beauvau depuis trois ans, il ne ménage pas sa peine. Un job épuisant dit-il. Ses cheveux ont blanchi.  Sur le terrain, de l’insécurité, entre un règlement de compte entre dealers ou un refus d’obtempérer qui tourne mal, il doit aussi gérer l’attaque mortelle au couteau contre Dominique Bernard, après celle, il y a trois ans, de Samuel Paty.

 Sur le plan politique, déçu l’été dernier de ne pas avoir décroché Matignon, il se prépare à briguer la Présidence de la République en 2027, poussé par son mentor Nicolas Sarkozy.

Le chemin est long et barré par cette loi cruciale sur l’immigration dont il est convaincu que sa réussite ou son échec détermineront ses chances de succès.

Alors, il bataille, s’empêtre dans des mesures techniques sans consensus politique, égrène l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), les expulsions, les recours, la rétention administrative, la suppression du titre de séjour, le contrôle du droit d’asile ou la levée de la protection pour les mineurs arrivés en France avant l’âge de 13 ans. Rude bataille : chacune de ses propositions est l’objet de débats et de critiques acerbes de l’opposition. Au point que les Français y perdent leur latin. Et cruelle, quand Gabriel Attal le devance grâce à une seule mesure simple, efficace et rapide, celle… d’interdire l’abaya à l’école.

Alors Gérald Darmanin ouvre un nouveau front quand il dénonce la star du football Karim Benzema, parti en Arabie Saoudite. Après avoir rappelé que le joueur, supposé tenant d’un islam pur et dur, a refusé de chanter l’hymne national sur le terrain, il l’accuse d’avoir publié un tweet en soutien à la population de Gaza sans s’inquiéter des victimes israéliennes. Motif ? Ses liens avec les Frères musulmans . Sur BFMTV, il martèle: « Le frérisme est insidieux. Il utilise tous les moyens de notre société pour faire passer un islam rigoriste. Arrêtons d’être naïfs ».

Le ministre se dit convaincu de l’influence de cette mouvance qui utilise les personnalités de la musique et du sport pour répandre un islam radical en France. L’accusation ne porte plus des faits reprochés, mais sur l’influence néfaste de Benzema. Évidemment, Éric Zemmour et Marine Le Pen lui emboîtent le pas désignant à leur tour Karim Benzema comme « complaisant envers l’islamisme le plus radical ».

Le tabou est levé. Quitte à prendre le risque d’exacerber les tensions au lieu de les apaiser.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique