Berlusconi et la mafia: le « pacte »…impuni

publié le 14/06/2023

En 2014, la justice italienne condamnait définitivement Marcello Dell’Utri, le bras droit de Silvio Berlusconi, pour « complicité d’association mafieuse », et soulignait l’existence d’un pacte de protection entre l’ancien président du Conseil et la pègre sicilienne

 

Silvio Berlusconi , leader du parti Forza Italia- Photo Tiziana FABI / AFP

 Un accord secret confirmé par la parole des repentis de Cosa Nostra mais qui n’aura jamais inquiété « Il Cavaliere », qui vient de décéder.

Par Emmanuel Schwartzenberg

 Décédé ce 12 juin à l âge de 86 ans, Silvio Berlusconi emporte un secret dans la tombe. La nature des liens que l’ancien Président du conseil italien a entretenus avec la mafia sicilienne ne sera jamais connue avec précision. « Il Cavaliere » n’a jamais été condamné pour association mafieuse. De fait, il a eu la sagesse de passer par un intermédiaire pour négocier, en direct, avec l’organisation criminelle.

Marcello Dell’Utri, ancien camarade de la faculté de droit et cofondateur de Forza Italia, a joué ce rôle à la perfection. Cet homme capable de déclamer des tirades de Cicéron ou de prédire les résultats des matchs du Calcio, a effectué de nombreux allers et retours entre Milan et Palerme pour s’assurer que Silvio Berlusconi bénéficierait d’une protection permanente de la mafia. Ce qui semble avoir fonctionné puisqu’aucun attentat n’a eu lieu quand Silvio Berlusconi était président du Conseil.
 
 
Le rôle de Marcello Dell’Utri a été clairement établi par la justice italienne. En 2004, après neuf ans de procédure, la cour d’assises de Palerme, en Sicile, le condamne à sept ans de prison pour « complicité d’association mafieuse ». Elle motive ainsi sa décision : « Les plaidoiries ont démontré, lors de l’instruction, que l’accusé avait entretenu au milieu des années soixante-dix et jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix des relations directes et personnelles avec des représentants de premier plan de Cosa Nostra [la mafia sicilienne] et qu’il a également exercé pendant la même période une activité intense et constante de médiation entre ceux-ci et Silvio

Berlusconi ». En 2010, la cour d’appel annule ce jugement, qui sera finalement confirmé le 1er juillet 2014 par la cour de cassation italienne dans un arrêt désormais célèbre. La plus haute juridiction italienne reconnaît non seulement la culpabilité de Marcello Dell’Utri mais affirme sans ambiguïté que celui-ci a agi pour le compte de Silvio Berlusconi quand il traitait avec la mafia.

Elle écrit ainsi qu’« entre 1983 et 1992, l’accusé a assuré un canal permanent de liaison entre les participants du pacte de protection conclu en 1974, qui s’est poursuivi depuis sans interruption, et a assuré la permanence des paiements de Silvio Berlusconi en faveur des représentants de l’association mafieuse, en échange d’une protection globale concédée à l’entrepreneur ».
 
Selon la cour, cette participation financière, communément appelée « pizzo », a permis à la mafia de se perpétuer et de réaliser « au moins partiellement son programme criminel » : 250 millions de lires
[130 000 euros] auraient été versées, dans le cadre de ce pacte, à Cosa Nostra. « Le président du Conseil a assuré sa protection comme celle de sa famille et a conforté son activité entrepreneuriale et politique en échange de sommes importantes que Dell’Utri a versé dans les caisses de Cosa Nostra », écrit la cour. Jamais Silvio Berlusconi ne reconnaîtra ces faits et Marcello Dell’Utri n’admettra pas non plus avoir été son intermédiaire.

Après cinq ans de prison, l’ex-sénateur s’enfuira au Liban, avant d’être repris puis libéré en 2018 pour raisons de santé. Les hommes politiques italiens ne sont jamais vraiment emparés du dossier. À l’exception du Mouvement des 5 Etoiles, aucun parti n’a ouvertement incriminé Silvio Berlusconi. Beaucoup d’entre eux ont estimé que la recherche d’une paix armée avec la mafia justifiait la conclusion d’un accord secret.
 
PAROLES DE REPENTIS


Dans un tel climat, les témoignages des mafieux repentis, pourtant nombreux à porter de graves accusations contre Silvio Berlusconi, n’ont pas été pris au sérieux. L’un d’entre eux, Francesco di Carlo, a ainsi affirmé que Silvio Berlusconi avait recherché la protection du chef mafieux Vittorio Mangano, qu’il avait embauché comme garçon d’écurie.

Dans une interview de 1992 accordée aux journalistes français Fabrizio Calvi et Jean-Pierre Moscardo, le juge Paolo Borsellino, qui sera lui même assassiné par la mafia peu de temps après, reviendra sur les liens potentiels entre Berlusconi et Cosa Nostra. Vittorio Mangano aurait négocié pour le compte de Stefano Bontate, le chef de la mafia palermitaine, un accord de grande envergure qui accordait une protection de Cosa Nostra en échange de la fin des enlèvements et des assassinats.
 
 
En 1996, lors du procès des assassins du juge anti-mafia Giovanni Falcone, Salvatore Cancemi, un repenti, déclare que la mafia avait des liens étroits avec Silvio Berlusconi dans les années 1990 et voyait d’un œil favorable ses activités entrepreneuriales. Entre 2016 et 2017, 21 conversations, toutes enregistrées, tenues par deux mafieux dans la prison d’Ascoli Piceno font état de liens étroits entre l’État italien et la mafia. Elles déclencheront des enquêtes judiciaires qui n’aboutiront pas.

En 2018, Tommasso Buscetta, le célèbre repenti qui a fait tomber Toto Riina et inspiré le film Le Traître déclare que Silvio Berlusconi et la mafia avaient fait cause commune – mais sans apporter de preuves.

Ces déclarations ne semblent jamais avoir inquiété Silvio Berlusconi qui les réfutait. Sa mort laisse la porte ouverte aux rumeurs les plus folles. Comme celle qui fait état de la responsabilité de l’État italien dans l’assassinat de Paolo Borsellino qui aurait menacé par son action le pacte l assassinat de Paolo Borsellino qui aurait menacé, par son action, le pacte de non-agression conclu avec Cosa Nostra.

Cet article a été publié dans le magazine « Marianne » que nous publions avec son aimable autorisation.

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