Berlusconi, le premier populiste
Milliardaire douteux, magnat des médias, jouisseur cynique, Silvio Berlusconi a créé une formule politique dangereuse et contagieuse
L’Italie est un laboratoire politique dont il sort le meilleur et le pire, et dont les innovations font en général école dans les autres démocraties. Ainsi de Silvio Berlusconi, qui vient de quitter la scène à 86 ans : il fut l’inventeur du populisme moderne ; il en démontra la redoutable efficacité politique et la désastreuse influence civique.
Paradoxalement, c’est l’opération « mani pulite » (« mains propres »), menée par des magistrats soucieux d’assainir le jeu politique italien, qui lui a ouvert le chemin du pouvoir. En braquant le projecteur sur la corruption de la classe politique traditionnelle, Mani Pulite a sonné le glas des partis classiques qui dominaient la vie italienne depuis la guerre.
Mais plutôt que de choisir des élus enfin honnêtes, les Italiens se sont tournés vers Berlusconi, milliardaire et bateleur, combinard et munificent, qui « disait tout haut ce que le peuple pensait tout bas ». Aux hommes politiques qui s’enrichissaient de manière douteuse au pouvoir, les électeurs ont préféré un homme d’affaires tout aussi douteux, mais déjà riche, ce qui était, à leurs yeux, une garantie contre la corruption.
Magnat des médias, maître du marketing politique, Berlusconi fut le premier à pratiquer la campagne-éclair, créant de toutes pièces un parti nouveau, appuyé sur des slogans simplistes et une organisation de fer financée à grands frais, pour conquérir le pouvoir en quelques mois. Après lui, on verra éclore Tapie en France, Farage en Grande-Bretagne, Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, et bien d’autres de moindre calibre.
Jouisseur, cynique, mais doté d’une intuition aiguë, devinant toujours ce que l’opinion voulait entendre, Berlusconi, en dépit de revers cuisants, a occupé le pouvoir pendant de longues années et encombré le paysage politique pour ainsi dire jusqu’à sa mort, de scandale en scandale, de condamnation en condamnation. Son bilan ? À peu près nul. Peu de réformes, une gestion erratique fondée sur un conservatisme plus ou moins affirmé et sur la détestation de la gauche comme seule boussole.
C’est sans doute la leçon principale de cette vie d’aventurier démagogue : fondé sur le mensonge, souvent aux limites de la légalité, le populisme finit toujours mal, dans l’opprobre ou la chute judiciaire. Mais en attendant, il dégrade la vie politique, abaisse la démocratie et, souvent, ouvre la voie à l’extrême-droite.