Biden, vieillard d’avenir
Ceux qui daubent sur les gaffes d’un président de 81 ans devraient aussi s’intéresser à son bilan, à son aptitude à gouverner et à son calamiteux adversaire.
Joe Biden, donc, a confondu, au cours d’un discours électoral, Emmanuel Macron et François Mitterrand. Le lapsus est flatteur pour Macron ; il l’est beaucoup moins pour le président américain, qui, au pied de la lettre, fait état d’une rencontre récente avec un chef d’État disparu depuis belle lurette, comme si le fantôme de Mitterrand s’était soudain matérialisé à ses côtés. Aussitôt, chacun se gondole devant ce président de 81 ans qui confond les morts et les vivants et qui prétend gouverner pour quatre ans de plus la plus grande puissance de la planète. Compréhensible. Sauf que les quolibets adressés à ce vieillard oublieux sont moins pertinents qu’il y paraît. Au vrai, il s’agit même d’un classique pont-aux-ânes, né d’un jeunisme paresseux qui fonctionne comme une usine à clichés.
Citons en exergue l’indispensable Victor, qui vécut lui aussi fort chenu, tout en restant très vert, et fait l’éloge de Booz, patriarche biblique :
Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand (…).
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.
Rappelons aussi la mémoire de quelques cacochymes difficiles à classer dans le camp des gâteux inefficaces : Clemenceau, qui mène la France à la victoire à 77 ans, De Gaulle, revenu au pouvoir à 67 ans et restant encore onze ans à l’Élysée pour laisser une trace qui n’est pas précisément éphémère, Lula immarcescible héros de la classe ouvrière brésilienne, président à 78 ans et toujours ardent, ou encore Jean-Luc Mélenchon, toujours aussi tonitruant et atrabilaire à 72 ans. Rappelons aussi que Biden est connu depuis des décennies pour ses gaffes et ses cuirs, aussi nombreux il y a vingt ans qu’aujourd’hui.
Jugeons l’homme sur ses actes
Et surtout, jugeons l’homme sur ses actes, plus que sur son acte de naissance. Sa première décision fut de mettre en œuvre des plans de relance économique que les esprits forts jugèrent à l’époque présomptueux, voire pharaoniques. Trois ans plus tard, les économistes admettent qu’ils ont largement contribué au redressement spectaculaire de l’économie américaine, qui continue de croître, qui a réduit le chômage au chiffre record (à la baisse) de 4 %, et qui a financé des investissements écologiques massifs. Les juvéniles leaders européens seraient bien contents de pouvoir exciper d’un bilan comparable.
Les manques de sa politique – le vote de la Cour suprême contre l’IVG, l’impuissance à réglementer les armes à feu -, lui sont imputés par ceux qui ne connaissent rien à la démocratie américaine. À la différence de ce qui se passe en France, le président américain doit composer, par définition, avec la Cour suprême, truffée de juges réactionnaires nommés par Trump, et avec un Congrès où les démocrates ne disposent pas de la majorité. Biden avait la position juste, mais les contre-pouvoirs américains, contrôlés par les républicains, l’ont bloqué. Est-ce condamnable ?
Même constat en politique étrangère : après un retrait calamiteux d’Afghanistan en début de mandat (il soldait une situation qu’il n’avait pas créée), il a réagi avec célérité, tout vieillard qu’il soit, à l’agression russe en Ukraine, sauvant par son aide rapide cette démocratie attaquée. Il n’a pas hésité à déployer l’US Navy au large du théâtre moyen-oriental, dont il use avec alacrité pour tenir en respect l’Iran et empêcher l’extension du conflit. Il joue le multilatéralisme, l’alliance européenne, la prudence à l’égard de la Chine et se garde des embardées baroques de son prédécesseur.
En face de lui…
En face de lui se profile l’ombre menaçante d’un candidat factieux, cynique, menteur et décidé à piétiner l’État de droit, poursuivi par les tribunaux pour de multiples délits, appuyé sur une base électorale d’énergumènes obscurantistes, prêt à livrer l’Ukraine à Poutine, à relancer sans vergogne l’usage des énergies fossiles, à jeter aux orties les objectifs de la COP 21, à soutenir Benyamin Netanyahou dans ses plus folles entreprises et à bousculer sans ménagements les intérêts européens.
Au vrai, Biden est un président expérimenté, décidé, ouvert et voué à la défense énergique des valeurs démocratiques, doté d’un des bilans les plus flatteurs, sans doute meilleur que celui d’Obama. Sous prétexte que son concurrent a quatre ans de moins que lui, faut-il le discréditer pour cause de maladresse verbale ? Voilà un raisonnement de blanc-bec étourdi.