Biodiversité : attention ! Vivant…
Ce qui vaut pour le fromage vaut pour bon nombre d’espèces. Démonstration
« D’une certaine façon, le défi du changement climatique est venu occulter celui de l’effondrement climatique », affirme Tatiana Giraud en ouverture de L’attention au vivant, que vient de publier la Directrice de recherches au CNRS et membre de l’Académie des Sciences. Or « la biodiversité est indissociable de la question du climat, et les deux se maintiennent l’un l’autre ». Ce livre est une remarquable et courte initiation à « l’extraordinaire diversité du vivant et ses ressources inouïes » et aux graves menaces qui pèsent sur celui-ci.
Tatiana Giraud est spécialiste des champignons microscopiques : à partir de l’exemple de penicillium roqueforti, la moisissure à l’origine du goût inégalable des fromages persillés, elle nous entraîne dans les mystères de la sélection naturelle (ou artificielle) et de l’évolution des espèces. On apprend ainsi comment l’industrialisation de la fabrication des fromages du type « bleus », qui a sélectionné une super-souche, conduit inexorablement à l’appauvrissement génétique de ce pauvre penicillium roqueforti, entraînant une uniformisation du goût, mais plus encore l’extinction programmée et inéluctable de la souche. Comment aussi l’AOP Roquefort, obligeant les producteurs à utiliser des moisissures locales, « a permis de maintenir un semblant de diversité dans le roquefort, mais qui reste très relative ».
Ce qui vaut pour le fromage ( la souche albinos qui permet de donner au camembert ou au brie son aspect et son goût est vouée à la disparition…) vaut bien entendu pour bon nombre d’espèces végétales, comme le maïs. On comprend mieux dès lors, par exemple, en quels termes se pose le débat sur les OGM, dont l’effet essentiel à terme est de créer, dans une sorte de course à l’échalote effrénée, une diversité artificielle, appauvrie, coûteuse et sans cesse en retard sur les aléas locaux, climatiques, parasitaires et autres.
Tatiana Giraud explique ainsi de façon parfaitement claire que l’appauvrissement spectaculaire et préoccupant de la population de certaines espèces (en particulier les plus visibles, tigres, éléphants, ours blancs, etc..) masque une erreur de perception plus grave : « l’idée que la biodiversité se résume à une diversité d’espèces, qu’elle serait surtout une affaire d’animaux (ou peut-être, dans une moindre mesure, aussi de plantes), et qu’enfin les espèces pourraient être préservées en dehors de leur écosystème ».
La diversité du vivant se caractérise autant par la diversité des populations au sein d’une même espèce que par la diversité des espèces elles-mêmes ». Il existe 400 races de chiens différentes, qui toutes appartiennent à la même espèce, canis lupus. Supposons que ne subsistent que les caniches, l’espèce sera préservée, et pourtant… Et pour combien de temps, vu l’appauvrissement génétique que cela impliquerait ?
A partir de ces analyses théoriques claires et passionnantes, délivrées d’une façon remarquablement accessible, Tatiana Giraud décrit certaines des conséquences de l’indiscutable « effondrement de la biodiversité », aux effets moins spectaculaires que le réchauffement climatique, mais au moins aussi préoccupants.
Elle nous donne aussi quelques pistes pour infléchir, à tous les niveaux, cette catastrophe à bas bruit. Elle plaide en conclusion pour une troisième voie, entre la destruction de la biodiversité (et, avec elle, la condamnation du genre humain), et la décroissance : une « alliance avec le vivant ». On ne peut que la suivre.
L’attention au vivant, de Tatiana Iraud, avec Marie Ameler, 182 pages. Éditions de l’Observatoire