Boniface et le « muslim d’apparence »

par Laurent Joffrin |  publié le 21/10/2024

Le chercheur Pascal Boniface reproche à Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, de ne pas se prononcer assez nettement contre Israël alors qu’il a « l’apparence » d’un musulman. Misère du débat français.

Laurent Joffrin

La peste identitaire, décidément, touche tous les milieux, y compris le monde académique et universitaire. On connaît depuis longtemps Pascal Boniface, président d’un institut de recherche sur les questions internationales (l’IRIS), habitué des polémiques sur le Proche-Orient. Il se distingue par une constante critique de la politique israélienne qui confine parfois au systématisme, surtout lorsqu’il met en cause, par la bande, l’influence à ses yeux excessive des pro-israéliens en France. C’est son droit…

Son zèle va désormais beaucoup plus loin. Écoutant sur France 2 les propos de Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen, voici ce qu’il écrit sur « X », ex-Twitter : « Sincèrement je m’interroge sur cet homme que je ne connais pas perso. Est-il un exemple de la méritocratie ? Alors bravo ! Ou instrumentalisé façon un muslim d’apparence qui ne critique pas Netanyahou et donc bénéficie d’une grosse promo médiatique ».

Que reproche-t-il à Bouamrane ? De ne pas se prononcer, en tout cas pas dans le sens de Boniface, sur la guerre en cours à Gaza. Ce qui vaut à ce maire socialiste, républicain de stricte obédience, adepte d’une solution négociée et de l’existence de deux États sur le territoire de la Palestine, le qualificatif de « muslim d’apparence ». Boniface s’est ensuite excusé pour une « maladresse ». Mais le fond de sa déclaration demeure : pour lui, un édile d’origine maghrébine (Bouamrane est de famille marocaine) devrait tout naturellement professer des thèses anti-israéliennes pur sucre.

Rien de fortuit dans ce simplisme identitaire. Toujours sur X, le chercheur a interpellé une autre élue socialiste, Lamia el Aaraje, pour lui demander ce qu’elle pensait «de la poursuite des bombardements sur Gaza». Réponse de l’intéressée : « l’aurait-il fait si je m’étais appelée Colette Durand ?»

On est arabe ? On doit donc être anti-israélien. Tel est le monde d’assignations a priori et de préjugés ethniques où évolue la courte pensée de Boniface. Avec un sous-entendu supplémentaire : à la fin de son tweet, Boniface affirme que Bouamrane, « muslim d’apparence, (…) ne critique pas Netanyahou et donc bénéficie d’une grosse promo médiatique ». Louche univers mental : une puissance médiatique occulte, suggère-t-il, a choisi ce faux musulman pour le faire passer sur une chaîne publique, pour la seule raison « qu’il ne critique pas Netanyahou ». Quelle peut être cette puissance ? On craint de le comprendre : les Juifs, sans doute ? Doit-on s’étonner, en lisant les déclarations de cet universitaire titré, de voir les conflits communautaires progresser en France ?

Laurent Joffrin