Bons baisers de Bakou

par Emmanuel Tugny |  publié le 24/05/2024

Que vient faire l’Azerbaïdjan du tyran Aliyev en Nouvelle-Calédonie ? Sinon faire ce qu’il fait partout ailleurs…

Le président de l'Azerbaïdjan, Heydar Aliyev, le 26 avril 2024- Photo Odd ANDERSEN / AFP

La Nouvelle-Calédonie s’embrase, au terme d’un équilibre de 26 ans rompu par le vote d’un projet de loi à responsabilité limitée. Et voici qu’une silhouette inattendue parait sur le seuil mélanésien : le profil caucasien de l’Azerbaïdjan du tyranneau Aliyev, au pouvoir depuis 2003, dont le drapeau coudoie, à Nouméa, Bourail ou Poindimié, celui du FLNKS, cet Azerbaïdjan dont quelque 4000 tweets à fake-news variées ont jusqu’ici contribué à entretenir la révolte et à déstabiliser ce qui peut encore l’être sur le Caillou.

Que vient donc faire à 13 000 km de ses terres cette république théorique de 10 millions d’âmes dont on n’avait au fond jusqu’alors eu vent qu’à l’occasion du conflit pour la possession du Haut-Karabakh qui l’oppose depuis 1917 à l’Arménie, conflit qui connut de sanglants apogées in fine favorables à Bakou ?

Trop nantie en gaz et en pétrole, trop siamoise de la grande Turquie pour que Moscou ne défende avec zèle les intérêts d’une Arménie abandonnée en rase campagne par son ancien protecteur chrétien, Bakou a les mains libres et avance ses pions. Les amis d’Erevan craignent dans le même temps la capacité de nuisance énergétique de Bakou et l’entregent d’un pays pantouraniste et membre de l’Organisation des États turciques fondée en 2009 (dont l’un des projets est la création du corridor de Zanguezour, en Arménie, qui relierait Turquie et Asie centrale).

L’Azerbaïdjan inquiète aussi en tant que membre de l’Organisation de coopération de Shanghaï, créée en 2001, qui lie avec force Chine et Russie. Un séide d’Aliyev, son ancien vice-premier ministre Abbas Abbasov, y a fondé en juillet 2023 l’ONG « Groupe d’initiative de Bakou », vouée à la lutte anticoloniale anti-française, à laquelle participent indépendantistes corses, antillais, guyanais, polynésiens et… kanaks. Le pays semble vouloir se doter d’une influence mondiale qui en passe par un « multi-alignement » incluant la participation à toute opération de déstabilisation des intérêts français, notamment ultramarins.

Il a désigné ses amis : la Russie, la Chine, la Turquie, l’Europe illibérale (Hongrie, Serbie, Slovaquie), Israël et le Royaume-Uni. Il a désigné ses cibles : la France, les États-Unis, l’Iran, son ennemi de toujours, qui arme en son sein une sédition chiite.Il a pris, au sein de l’ONU, le leadership du groupe des 120 pays non-alignés dont il a assuré la présidence entre 2019 et janvier dernier. En Afrique (Niger, Mali, Burkina Faso, République du Congo, Rwanda, Sénégal…), il tisse des liens nombreux qui l’autorisent, de concert avec la Russie, à nuire à l’influence française. Il est l’ami de l’Égypte, de la Syrie, de l’Irak et des puissances du Golfe. Il accueillera la COP29 en novembre prochain. Il a, via l’Inde, demandé son adhésion aux BRICS.

Quant à la Chine, il la courtise tous azimuts. Il collabore notamment à son projet « Initiative route et ceinture » de nouvelle route de la soie, lancé en 2013, qui implique 68 pays représentant 40% du PIB mondial.  Rien que de logique, en somme, à ce que Bakou, francophobe et qui entend en outre complaire à Pékin, s’invite en Nouvelle-Calédonie dont l’empire du Milieu convoite et le nickel et la position géostratégique enviable.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie