Borne-Attal : après le camouflet, le mouflet
Chaque dimanche, un regard engagé sur une semaine d’actualité. Que retenir dans le flot d’informations qui inonde les médias, entre écume des jours et vague de fond ? L’essentiel
Lundi — Parler sans savoir
On connaît le dicton : avant un remaniement ministériel, ceux qui savent ne parlent pas ; ceux qui parlent ne savent pas. Nouvelle vérification en ce dernier lundi du gouvernement Borne. On glose à l’infini autour de Le Maire, Lecornu, Darmanin, Denormandie… ou même d’Élisabeth Borne reconduite. On suppute le sort prochain de tel ou tel ministre, l’entrée éventuelle de quelques personnalités. Deux noms restent ignorés des commentateurs : Gabriel Attal, Rachida Dati. Ceux qui, précisément, feront l’événement de la semaine.
Mardi – Roulez jeunesse
Élisabeth Borne, qui a courageusement défendu deux projets de loi difficiles à défendre et les a fait passer malgré tous les obstacles, est sèchement remerciée. Camouflet pour une femme qui n’a pas démérité, en dépit de son style oratoire soporifique. Arrive Gabriel Attal, 34 ans, mouflet populaire intronisé par Emmanuel Macron. Roulez jeunesse…
Cela n’a pas été sans mal, de toute évidence. En principe, on nomme le nouveau Premier ministre juste après la démission de l’ancien. Il a fallu patienter une nuit et une matinée entière avant que la décision soit rendue publique. On devine que plusieurs excellences – Bayrou, Darmanin, Le Maire – ont rué dans les brancards avant de se résigner. Signe supplémentaire : Le Maire et Darmanin ont annoncé eux-mêmes leur maintien en poste, avant que le nouveau gouvernement soit formé. Geste inédit, qui traduit bien les tensions internes au sein de la macronie.
Mercredi – C’était mieux avant…
Le talentueux Sylvain Tesson vient présenter à France Inter son dernier opus, un voyage en voilier le long des côtes atlantiques et celtiques, de la Galice aux Îles Shetland, qu’on devine fort bien écrit. L’homme est charmant, subtil, original. Son idée forte l’est moins : le monde moderne court à sa perte, le seul sentiment légitime aujourd’hui, c’est la nostalgie. Un réac de charme, en somme.
C’était mieux avant ? Mais quand ? Dans les années cinquante, par exemple. C’est un fait que le travail était alors respecté : 45 heures par semaine pour les ouvriers et les employés avec un salaire trois fois moindre qu’aujourd’hui et deux petites semaines de congés annuels, une vie domestique obligatoire pour la plupart des femmes qui n’avaient pas le droit de signer de chèques, ni de pratiquer l’IVG, ni de prétendre gagner autant que les hommes si elles avaient un métier. Une espérance de vie de 63 ans (près de 80 ans aujourd’hui), une menace nucléaire permanente, l’Europe coupée en deux par le rideau de fer et deux guerres coloniales sur les bras. Mieux, vraiment ?
Jeudi —Des jeunes pour faire du vieux
Le projet qui sous-tend le remaniement apparaît en pleine lumière, mal dissimulé par la jeunesse du Premier ministre : la reconstitution de l’UMP, avec un gouvernement sans aile gauche, tenu par des personnalités venues de la droite et qui y sont restées, dont les premiers messages sont l’ordre, la sécurité et la baisse des impôts pour les classes moyennes.
Une nomination éclipse toutes les autres : celle de Rachida Dati au ministère de la Culture, amazone de la droite ancienne, juriste qui n’a jamais émis une idée de sa vie sur la politique culturelle du pays. Tout cela sous le signe de l’action et de l’efficacité. Sarkozy ressuscité, en somme. On devine vite le calcul : outre l’embarras infligé au parti LR, ou ce qu’il en reste, la ministre, quoique mise en examen pour « corruption », aura la décisive mission de mener une liste Renaissance droitisée pour évincer la gauche de la Mairie de Paris. Combine digne des recettes politiciennes les plus éculées. Devise de la nouvelle équipe : faite du vieux avec des jeunes.
Vendredi —La révolution discount
« Je ne veux pas gestionnaires, mais des révolutionnaires », dit Macron lors du premier Conseil des ministres. Franchement comique : on imagine les nouveaux ministres se coiffant d’un bonnet phrygien et empoignant une pique en criant « Ah, ça ira ! » Ou bien les mêmes revêtant le manteau de cuir cher aux commissaires du peuple bolcheviks, parcourant le pays en train blindé. Cette « révolution » poursuit une fin plus triviale : ripoliner la macronie pour lui donner une chance de figurer honorablement dans la prochaine élection européenne. On a les Bastilles qu’on peut.
Samedi — Taiwan : une victoire de la liberté
Lai-Ching-te, candidat progressiste, dédié au maintien de l’autonomie de Taiwan vis-à-vis de la Chine communiste, remporte l’élection présidentielle en dépit des pressions militaires et verbales exercées par Pékin jusqu’au dernier jour de la campagne. Victoire démocratique, reconnue par son rival prochinois, victoire de la volonté d’indépendance manifestée par les 23 millions de Taiwanais peu soucieux de tomber sous la férule de Xi-Jinping.
On lit sans cesse que les pays émergents, de l’Est ou du Sud global, ne veulent plus des valeurs « occidentales » et se rallient à des modèles de société fondés sur l’autorité et l’identité traditionnelle. Est-ce si sûr ? En quoi les valeurs de Taiwan, pays situé plutôt à l’est de l’Europe, sont-elles « occidentales » ? Ces Chinois rétifs à la dictature continentale n’obéissent-ils pas plutôt à des valeurs de liberté, qui sont de toutes les latitudes et de toutes les longitudes ? On disserte doctement sur la « guerre des civilisations ». L’ennui, c’est que le régime de Pékin et celui de Taipeh sont précisément issus de la même civilisation. C’est un conflit politique qui les oppose et qui donne peut-être une meilleure clé de lecture des conflits contemporains : la lutte planétaire entre démocratie et tyrannie.