Boualem Sansal ou l’amnésie d’Amnesty

par Boris Enet |  publié le 09/12/2024

Tandis que le monde se réjouit prudemment de la chute d’un tyran à Damas, la campagne pour la libération de l’écrivain Boualem Sansal piétine, illustrant une forme de renoncement qui ne dit pas son nom. Amnesty International n’est pas à la hauteur.

Jean-Baptiste Reddé, dit Voltuan, brandissant une pancarte «Libérez Boualem Sansal» lors de la manifestation du 5 décembre 2024, entre Bercy et Place d'Italie, à Paris. (Photo de Eric Broncard / Hans Lucas via AFP)

Qu’il est loin le temps des campagnes courageuses contre les prisonniers du Salazarisme, les oubliés des geôles de Pinochet ou l’odieux apartheid sévissant dans les ghettos de Pretoria. L’ONG, aux dix millions de donateurs à travers le monde, s’est souvent illustrée de la plus belle des manières pour faire respecter les droits inaliénables de la déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 –  comme l’indique sa charte. 

Comment expliquer, dans de telles conditions, un silence complice refusant de s’en prendre frontalement à la dictature d’Alger pour exiger la libération de l’écrivain franco-algérien ? Le compte francophone d’Amnesty indique n’avoir pu « vérifier de façon indépendante les éléments relatifs à son arrestation » tout en s’avouant préoccupé. Étonnant scrupule si l’on se réfère à l’Agence de Presse publique d’Alger justifiant l’arrestation de ce dernier dès le vendredi 22 novembre, lui reprochant pêle-mêle son « révisionnisme » et sa volonté de « nier l’existence de la Nation algérienne ». 

En réalité, la puissante ONG, comme quelques autres, à l’instar de la Ligue des Droits de l’Homme, multiplie les glissements sémantiques et éthiques, jamais éloignés d’une contextualisation politique plus générale, à l’heure du « Sud global » et des théories « décoloniales » en vogue. 

On peut par exemple évoquer son refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste au motif qu’il est un parti politique reconnu dans les territoires palestiniens. Dans ce cas, pourquoi ne pas cataloguer à minima et à juste mesure sa branche armée comme il se doit ? La démonstration glaçante du 07 octobre 2023 aurait-elle échappé au secrétariat d’Amnesty ? Al Qaïda est une formation politique tolérée en Jordanie, le Hezbollah libanais a pignon sur rue à Beyrouth. L’ONG oserait-elle contester leur dimension terroriste islamiste ? 

On peut aussi rappeler le malaise de sa directrice d’alors, Okasana Pokaltchouk, le 6 août 2022, après un rapport accusant la tactique militaire défensive de Kyiv à l’encontre des civils, sans s’étendre sur la brutalité de l’agression militaire russe. Derrière ces arguties peu crédibles, se dissimulent l’embarras et les formules empruntées d’une certaine gauche politique et associative qui dérive.

Difficile prétention que de mettre de côté la politique, dès lors que l’on défend les droits humains. C’est la leçon de cette étrange défaite morale consistant à épargner la condamnation de Tebboune et ses services pour violation élémentaire des droits humains. On entend et lit à demi-mots que la collusion entre l’écrivain et le magazine d’extrême-droite Frontières, suffirait à le laisser croupir dans les geôles de l’État policier. Il s’agirait donc de réduire ses romans, son œuvre et sa pensée forcément complexe à sa participation au trimestriel nationaliste. 

En opérant de la sorte, on dénaturerait la citation apocryphe de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dîtes, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » en abîmant le combat universel pour la dignité humaine, la démocratie et leurs fondements intangibles. Une forme d’amnésie dont on se passerait volontiers à l’heure du recul des principes démocratiques un peu partout dans le monde. Un seul mot d’ordre : Libérez Sansal.

Boris Enet