Bruit de bottes à Tokyo
La rue de Tokyo ignore la fureur de la guerre. Le gouvernement, lui, augmente le budget militaire, contre la Chine et la Corée du Nord
L’étranger qui cherche à obtenir d’un Japonais un avis sur la politique étrangère de son gouvernement se heurte à une attitude légitimiste qui laisse peu de place au débat : « Je suis certain que le Premier ministre fait de son mieux ». Pire, la question est même le plus souvent ignorée. « C’est un sujet complexe », me répond laconiquement cet étudiant en… relations internationales.
Il est vrai que la visite du Premier ministre Fumio Kishida, extrêmement impopulaire à cause des scandales de caisses noires de son parti, n’intéresse personne à Shibuya l’un des 23 arrondissements qui constituent Tokyo. D’ailleurs, les Japonais semblent terriblement insensibles à l’atmosphère de quasi-guerre froide qui règne en Europe depuis deux ans.
Kiev, il est vrai, est loin. Aucun drapeau ukrainien ne se montre dans les rues de la capitale. Pas plus que les couleurs de la République de Taïwan. Aucun signe d’un quelconque intérêt pour le conflit israélo-palestinien : la guerre au Moyen-Orient ne mobilise guère plus. À Shibuya, une vingtaine de militants qui manifestent bruyamment pour l’arrêt des combats à Gaza, essaient par leur tapage de faire oublier qu’ils ne sont qu’une poignée.
Exception nord-coréenne
L’actualité se rappelle quelquefois à l’opinion japonaise lorsque les chaines de télévision daignent faire état d’une « énième » provocation de la Corée du Nord qui prend la mer du Japon pour la zone d’exercice de tir préférée de ses missiles. Exception faite de ces images menaçantes, les téléspectateurs ont surtout droit à des reportages lénifiants et des morceaux choisis de la dernière rencontre de baseball, le sport national. L’Archipel ignore la dangerosité grandissante du monde. L’amitié américaine lui assure la meilleure des protections.
Le budget militaire record de 56 milliards de dollars du gouvernement conservateur ne fait pas les gros titres. Tokyo fait à présent partie d’une large alliance sous l’égide américaine avec ses voisins sud-coréens et philippins, auquel Taïwan est associé, face à un axe Pékin-Moscou-Pyongyang. Même si les bisbilles entre alliés sont monnaie courante. Loin d’une Allemagne repentante, le Japon a choisi de tourner le dos à toute reconnaissance des crimes de son armée pendant la première moitié du XXème siècle.
Des membres du groupe ultra nationaliste Nippon Kaigi soutiennent ce déni. Fumio Kishida et une délégation de membres de son parti, se sont rendus dimanche 21 avril au sanctuaire shinto de Yasukuni, où sont honorés neuf criminels de guerre. Séoul a bien évidemment protesté. Mais les Japonais préfèrent ignorer dans leur grande majorité les horreurs du passé, comme ils veulent méconnaitre les menaces d’aujourd’hui.