Bruno Le Maire : pas très sérieux

par Laurent Joffrin |  publié le 06/03/2024

Le ministre de l’Économie annonce des coupes budgétaires au nom du « sérieux budgétaire » désormais nécessaire. Ce qui tend à prouver que ce sérieux lui a jusqu’à présent manqué.

Laurent Joffrin

Macronisme, saison 4 : la saison du « sérieux ». C’est Bruno Le Maire, argentier du règne, qui vient de porter la mauvaise nouvelle : les phynances vont mal, il est temps de les passer sous la toise du « sérieux budgétaire ». Incise : on dit « sérieux budgétaire » pour éviter le vocable « rigueur », qui a lui-même remplacé l’expression « austérité », laquelle entraîne toujours serrage de ceinture et impopularité. On dit donc « sérieux », litote officielle, ce qui implique, par une simple déduction, que le ministre des Finances, avant cette mâle résolution, et en dépit de son maintien roide et un peu bonnet de nuit, n’était pas auparavant un type très sérieux.

Il a des excuses, dira-t-on : le « quoi qu’il en coûte » macronien, né de la crise du Covid, était de toute nécessité pour éviter une catastrophique récession. La remarque est juste et l’opposition, qui a exigé que l’État vienne au secours de la société paralysée par la pandémie, serait mal inspirée de le lui reprocher aujourd’hui. Mais le Covid n’explique pas tout. Si le déficit perdure à un niveau dangereux, grossissant une dette déjà gonflée comme une outre, c’est aussi le résultat d’une politique. En effet, après avoir réduit les recettes par des baisses d’impôts et augmenté les dépenses, le gouvernement ne peut guère s’étonner de voir le trou budgétaire se creuser.

Les dépenses étaient utiles et nécessaires ? Admettons, même si une bonne partie des largesses concédées par le gouvernement étaient surtout destinée à éteindre les incendies qu’il avait lui-même allumés par sa maladresse. Mais reste la question la plus embarrassante : les baisses d’impôt, qui ont surtout bénéficié aux classes supérieures, étaient-elles justifiées ? C’est là qu’on doute. Un exemple : la capitalisation boursière du CAC 40 a doublé en dix ans, tandis que les salaires progressaient à une allure d’escargot. Dans ces conditions, fallait-il vraiment alléger à ce point la taxation du capital et de ses revenus ?

Rabot

Un homme aussi peu enclin au laisser-aller financier qu’Alain Minc, conseiller des éminences du CAC 40, clame désormais (dans l’Obs) qu’il faut d’urgence augmenter les impôts. Si on ne les avait pas imprudemment diminués, pour les plus favorisés en tout cas, on ne serait peut-être pas dans un si mauvais cas. On parle désormais de raboter les minces émoluments des chômeurs en réduisant la durée de leur indemnisation : sans jouer les Robin des Bois, comment ne pas mettre en rapport ce tour de vis sur les personnes privées d’emploi et la bienveillante générosité exercée envers les Français les plus fortunés ?

Bien sûr, la gauche serait bien inspirée de ne pas recourir à l’éternel et automatique réquisitoire contre toute économie budgétaire, pour sacrifier une nouvelle fois à sa religion de la dépense publique, sans se soucier de son efficacité. Ce sont des faits désagréables mais patents : la France ploie sous le fardeau d’une dette dont le service est désormais le premier poste du budget de l’État, notre pays est le seul en Europe à rester nettement au-dessus des 3 % de déficit, et il risque désormais de voir sa notation financière dégradée par les agences internationales, ce qui renchérirait encore ses taux d’intérêt.

Aucun projet alternatif, aussi progressiste soit-il, ne peut écarter cette contrainte d’un revers de main, sauf à se rapprocher des élucubrations financières de la France insoumise, qui tient la dette pour une invention patronale ou « ultra-libérale » et propose, tant qu’à faire, de creuser avec une énergie décuplée le déficit du budget, qu’elle confond manifestement avec la corne d’abondance. La gauche peut en revanche poser une question simple : si les efforts sont nécessaires, sont-ils justement répartis entre les Français ? En écartant d’emblée toute réforme fiscale et en faisant porter le sacrifice sur les chômeurs, la recherche, l’éducation ou encore sur les investissements de la transition écologique, le gouvernement a déjà répondu.

Laurent Joffrin