« Le dernier des Juifs »
Croquis d’une famille, moment de vie et fable à la fois, « Le dernier des Juifs » qui oscille entre rire et larmes interroge : qu’est-ce qu’un étranger dans la cité ?
C’est un film fin, drôle, intelligent qui devrait déjouer toutes les tentatives de le caricaturer. Parce que, disons-le d’emblée, dans le contexte actuel, titrer un film « Le dernier des Juifs » n’est pas la meilleure manière de passer inaperçu. Mais justement, le film de Noé Debré traite exactement de cela : d’une histoire mélancolique de gens mélancoliques qui passent inaperçus. Des vies qui ne laissent pas de traces, et que ce long-métrage inscrit durablement dans nos mémoires.
Le film se déroule dans un cadre très identifié d’une grande banlieue française. Des barres d’immeubles, des rues commerçantes animées, une vie de quartier, des gosses qui se connaissent, des adultes qui s’apostrophent et discutent le bout de gras devant les commerces. Mais voilà, les commerces changent précisément. Le dernier « Cacher », entendez le petit supermarché cacher a fermé. Un jour, le jeune Bellisha, génial Michaël Zindel, qui vit seul avec sa mère descend acheter un poulet pour le shabbat du soir, il assiste à la fermeture définitive. Plus de Juifs, plus de Cacher. Sans le dire à sa mère, il file chez le Hallal, après tout, quelle différence ? La scène du diner où Bellisha mère, interprétée par Agnès Jaoui, se rend immédiatement compte de la supercherie, est formidable.
C’est de cela qu’il s’agit dans « Le dernier des juifs », une mère et un fils dans leur appartement modeste, avec un balcon qui donne sur la cité, les murs encombrés de photos souvenirs, les pièces de meubles et de bibelots, qui assistent à la transformation du quartier. Elle est malade, et très angoissée. Il flotte dans la vie, sans amarres. Elle voudrait qu’ils quittent leur appartement pour déménager ailleurs. Elle se sent menacée par l’antisémitisme. Elle supplie son fils d’organiser leur déménagement avant qu’il ne soit trop tard. Les juifs sont tous partis, remplacés par les Arabes, se lamente-t-elle. Pas du tout, répond le fils, ils ont été remplacés par des Noirs. Elle hausse les épaules. De toute façon, elle n’est plus vraiment en état de sortir. Elle veut fuir, c’est tout. Il va faire semblant d’organiser leur départ.
Tout y est, et rien n’est démonstratif. Le maire qui se fait prendre en photo avec Bellisha pour le journal local afin de montrer qu’il n’est pas antisémite, les remarques des copains de la cité qui n’aiment pas les juifs, sauf lui, Bellisha, le seul qu’ils connaissent, les déclarations contre les immigrés de la mère, qui en est une aussi.
« Le Dernier des juifs » est comme un croquis, un petit moment dans des vies, qui deviennent un peu les nôtres. Les acteurs sont géniaux, les dialogues, inoubliables. Rien n’est au premier degré : le regard est respectueux et tendre sur tous les personnages qui peuplent la banlieue. Noé Debré a conçu son film comme une fable. Le spectateur oscille entre le rire et les larmes, parfois en même temps. Puisque tout est si sérieux, rien ne l’est.