Cannabis : la vérité derrière les écrans de fumée
Libéraliser comme en Allemagne ? Il est temps d’ouvrir le débat, en sortant des controverses furibardes et fumeuses.
Liberté pour la beuh… La coalition menée par les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz a décidé de mettre en œuvre la principale mesure sociétale prévue par son contrat de gouvernement : la légalisation prudente de la consommation de cannabis en Allemagne fédérale. Cette nouvelle expérimentation, dans l’un des grands pays européens, montre qu’il faut sortir des débats caricaturaux qui se déroulent parfois en France sur cette question, propre à toutes les envolées furibardes.
Quand le projet Scholz sera adopté, les Allemands pourront s’inscrire à des « clubs cannabis » sans but lucratif, autorisés à produire et à commercialiser les produits aujourd’hui interdits, qui seront réservés à leurs membres (pas plus de 500), dans un cadre légal strict. Les ménages allemands pourront aussi posséder trois plants par ménage et détenir pour usage personnel jusqu’à 25 grammes de cannabis.
Cette prudence a une origine : les expériences menées dans plusieurs pays (de plus en plus nombreux) ne méritent ni les cris d’horreur poussés par les conservateurs, ni les ovations émises par les militants de la légalisation.
Les deux exemples les plus parlants sont le Canada, où la légalisation a été décidée il y a quatre ans, et l’état du Colorado, qui a autorisé le cannabis il y a bientôt dix ans, ce qui donne un premier recul sur les effets d’une politique plus libérale. Il en ressort deux leçons principales, que tout gouvernement sérieux doit méditer.
Le premier but de la libéralisation, c’est de remplacer la logique répressive par une démarche de santé publique. Cessant d’être un produit maléfique qu’il faut à tout prix prohiber, le cannabis passe dans la catégorie des substances dont il faut encadrer la consommation, comme l’alcool et le tabac. Nulle naïveté, donc, dans la mesure de libéralisation – le cannabis n’est pas inoffensif – mais une volonté de surveillance sanitaire et non plus policière.
Erreur tragique, disent les conservateurs : en libéralisant, vous allez décupler le nombre de consommateurs et aggraver brutalement les ravages de l’addiction, notamment parmi les jeunes (ravages qui existent bel et bien dans les cas de consommation à haute dose). Les deux expériences du Canada et du Colorado montrent qu’ils se trompent.
Après la libéralisation, le nombre de consommateurs a augmenté (contrairement à ce que disent certains partisans de la légalisation), mais dans des proportions limitées (moins de 10% en sus). En revanche le suivi médical des addictions graves (qui touchent une petite minorité de pratiquants) est mieux assuré. En fait, comme la consommation est déjà facile et massive malgré les interdictions, l’autorisation ne change pas l’ampleur du problème.
Le deuxième objectif de la libéralisation, c’est l’assèchement progressif du marché illégal au profit d’un commerce légal, mieux encadré et vérifié sur le plan sanitaire. Plutôt que d’enrichir des mafieux ultra-violents dont la puissance devient un danger pour les démocraties, on organise un commerce légal, encadré, qui bénéficie à des commerçants honorables et procure des revenus fiscaux à l’État, qui affecte souvent ces recettes nouvelles à la politique sanitaire.
Mais là aussi, au Canada ou dans le Colorado, les résultats sont mitigés. Le commerce légal prospère, les consommateurs pratiquent en paix, les impôts rentrent, fort bien. Mais cette activité, devenue débonnaire, reste concurrencée par le commerce illégal, qui s’adapte à la nouvelle donne en baissant les prix ou en diversifiant les produits.
Un coup pour rien ? Non : la part du marché légal progresse significativement, avec une baisse concomitante du trafic. Mais les mafias persistent en se réorganisant, ou bien reportent leurs activités criminelles sur d’autres secteurs. En revanche, la police est dispensée de courir après les fumeurs de joints et les petits dealers, pour se concentrer sur la criminalité de haut vol, ce qui est un avantage.
Dans ce constat nuancé, les « pro » et les « anti » trouveront matière à plaidoyers ardents et à philippiques indignées. Mais faute de trancher le débat, le statu quo n’est pas non plus une solution : rappelons qu’en France, on l’on tient avec vaillance la ligne de l’interdiction, le nombre des consommateurs est le plus important d’Europe.
En fait, seule la voie de l’expérimentation est rationnelle. Loin de l’affrontement stérile entre néo-babas lénifiants et réacs montés sur leurs ergots, il est temps d’ouvrir ce débat, en s’appuyant sur les travaux menés en France et à l’étranger, qui sont nombreux. Et l’essai allemand fournira des enseignements précieux.