Cannes 1939 : le festival qui n’a pas eu lieu

par Pierre Feydel |  publié le 24/05/2024

 La France voulait contrer la Mostra de Venise aux mains des fascistes. Mais la guerre…

Prospectus du Festival de Cannes 1939 Marco de Gastyne

C’est comme une fatalité. Jamais le Festival de Cannes n’a pu s’abstraire totalement de l’air du temps politique. En mai 1968, il est écourté à la demande de membres du jury, Monica Vitti, François Truffaud , Claude Berri, Jean-Luc Godard. Après tout, c’est bien normal. Parce que Cannes dès son origine est un projet politique. Philippe Erlanger, chef du service des échanges artistiques au Quai d’Orsay, représente à Venise, en 1937, lors de La Mostra , le grand festival italien, les intérêts du cinéma français.

Sont récompensés « Carnet de bal »  de Julien Duvivier et « La Grande Illusion » de Jean Renoir. En 1938, c’est le documentaire allemand de Leni Riefensthal, « Les dieux du stade », sur les JO de Berlin en 1936 qui est primé. La cinéaste-phare du régime nazi, chouchoutée par Goebbels n’a pourtant livré qu’une œuvre de propagande.

Les milieux culturels des démocraties sont outrés. Philippe Erlanger, nommé directeur de l’Association française d’Action artistique rédige alors un projet proposant la création d’un « festival du monde libre ».  Il soumet son rapport à Jean Zay ministre de l’Éducation nationale depuis le Front populaire et à Albert Sarrault, ministre de l’Intérieur. L’idée avance. Le lieu est choisi : le casino municipal de Cannes. La ville recèle une centaine de palaces et d’hôtels. Le comité d’organisation se réunit le 1er juin 1939.

La grande affaire est bien sûr la sélection des films et la composition du jury. L’Allemagne, l’Italie et le Japon déclinent l’invitation. Six prix sont prévus. Au sommet de ces distinctions, le Grand Prix international Louis Lumière du meilleur metteur en scène. Le dernier numéro de « Cinémonde » en septembre 1939 donne le dernier état de la sélection. Pour la France ; «  l’enfer des anges » de Christian-Jacque avec Louise Carlotti et Bernard Blier, « La charrette fantôme “de Julien Duvivier avec Pierre Fresnay et Louis Jouvet, ‘La loi du Nord’ de Jacques  Feyder avec Michèle Morgan et Charles Vanel…

Pour les États-Unis : «  Mr Smith va à Washington’ de Frank Capra avec James Stewart, « Pacific Express’ »de Cecil B . DeMille avec Barbara Stanwyck et Joël McCrea, «  Seuls les anges ont des ailes «  d’Howard Hawks avec Cary Grat et Rita Hayworth, ‘Le magicien d’Oz’ de Victor Fleming avec Judt Garland… Pour le Royaume-Uni, le dernier film anglais d’Alfred Hitchcock ‘La taverne de la Jamaïque’ avec Mauren O’Hara et Charles Laughton sans oublier ‘les quatre plumes blanches’ de Zoltan Korda. Des productions de L’URSS, de la Suède, des Pays-Bas, de la Belgique, de la Pologne, et même de la Tchécoslovaquie occupée par Hitler sont choisies. Mais c’est déjà fini, Hitler envahit la Pologne. Le Festival de Cannes n’aura pas lieu en 1939. Il faudra attendre 1946 …et la fin de la guerre.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire