Carburant. Ou comment réinventer la concurrence déloyale
Pour abaisser les prix des carburants sans réduire les taxes, Élisabeth Borne risque d’asphyxier les distributeurs indépendants
Dans quelles conditions la vente à perte sur les carburants, annoncée par Elisabeth Borne, sera-t-elle autorisée ? Après soixante ans d’interdiction, le projet qui ressemble à un « sauve-qui-peut » doit d’abord être discuté et validé par le Parlement.
Comment le gouvernement va-t-il justifier l’introduction de cette « concurrence déloyale » entre distributeurs, même pour une durée qui serait limitée à six mois ? Car, pour les gérants de petites stations, une forme de service public dans des localités isolées, la vente à perte est tout simplement suicidaire.
Si les pompes des grandes surfaces assurent aujourd’hui les deux tiers de la distribution de carburants en France, le dernier tiers revient aux stations-service des réseaux traditionnels. Leur nombre a été divisé par sept en quarante ans ! Il en reste à peine… 5 800 sur tout le territoire.
Encore faut-il distinguer les réseaux des pétroliers, avec des gérants à la tête des points de vente, et les véritables indépendants que l’on trouve en principe là où les grands réseaux ont fermé boutique à cause d’un trafic insuffisant.
Ce sont ces quelque 2 000 distributeurs indépendants qui sont le plus menacés par la vente à perte aux pompes des grandes surfaces, les premiers n’ayant pas, comme les secondes, la possibilité de se rattraper sur les prix d’autres produits. Surtout à des niveaux comme ceux évoqués au gouvernement, jusqu’à 25 centimes d’euro par litre…
Compenser une concurrence déloyale
Il aurait été plus simple que le gouvernement réduise la part des taxes sur les carburants, qui atteignaient à la mi-septembre 49 % du prix total pour le gazole et 52 % pour le SP 95. Mais après les 7,6 milliards d’euros pris en charge par l’État en 2022 pour alléger les dépenses des automobilistes aux pompes, le ministre de l’Économie considère qu’il n’est plus possible d’amputer encore l’enveloppe de quelque 41 milliards d’euros et que le relais doit être pris par la solidarité nationale.
D’autant que les gros industriels du pétrole n’ont pas manqué de restaurer leurs marges à des niveaux abusifs, dénoncés par les associations de consommateurs.
Les indépendants, eux, subissent les tarifs des raffineurs et n’ont pas les mêmes marges de manoeuvre. Cette autorisation de vente à perte constitue une double peine.
Côté grandes surfaces, au-delà de l’affichage, on peut s’interroger sur les conséquences de cette mesure. Si pour compenser la vente à perte sur les carburants qui font office de produits d’appel, elles compensent le manque à gagner par des hausses ciblées sur d’autres produits, le consommateur risque de ne pas s’y retrouver. La lutte contre l’inflation, non plus !