Carnets du festival: l’acte manqué de Quentin Dupieux

par Tewfik Hakem |  publié le 16/05/2024

Journal de bord d’un festivalier ordinaire. Cannes au jour le jour par notre envoyé spécial sur la Croisette.

Affiche officielle - D.R

Quand un film est accueilli aussi favorablement par des critiques de droite, par exemple Éric Neuhoff du Figaro, que par ses camardes officiant dans des journaux de gauche ou du centre-gauche ( Les Cahiers du Cinéma, La Croix, Télérama), on peut légitimement être dubitatif.

Mais comment donc a fait Quentin Dupieux pour réconcilier tout le monde avec son dernier film Le dernier acte, actuellement en salles après avoir fait l’ouverture du Festival ? En découvrant la chose, on comprend un peu mieux. En prise directe avec tout ce qui mine présentement le cinéma français (la révolution #Me-Too, la précarité des travailleurs, l’intelligence artificielle qui menace de mettre au chômage tout un pan d’une industrie déjà malmenée), cette comédie tombe à pic pour le Festival de Cannes qui ne pouvait plus continuer à faire comme si de rien n’était. D’autant qu’elle est servie par des stars (Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel) et le jeune comédien très en vogue en ce moment (Raphaël Quenard), qui n’hésitent pas à s’auto-parodier dans la bonne tradition potache française.

Si d’emblée on comprend mieux l’enthousiasme des critiques de droite, ( jusqu’au Journal du Dimanche quand même !), pour qui ce film ne peut être qu’une charge contre le « wookisme ambiant » ( c’est bien connu, on ne peut plus rien dire, plus rien faire de nos jours, tout cela à cause des femmes, des LGBTQ+ et des écolos islamo-terroristes), on s’explique beaucoup moins celle de leurs confrères de gauche pour qui globalement ce film s’attaquerait aux vrais problèmes d’aujourd’hui, en ridiculisant le système du cinéma, voire le système tout court. Avec ses mises en abîme et ses blagues plutôt réussies.

 Le Deuxième acte donne néanmoins souvent l’impression de dénoncer une chose et son contraire, sans prendre position, hélas pas en envoyant valser tout le monde, ce qui aurait au moins mis d’accord les anars de droite et de gauche, et nous avec. Il préfère appliquer sur des sujets sensibles la fameuse méthode de « En même temps »,. Si on voulait être méchant avec Quentin Dupieux, on pourrait lui suggérer de (re)voir Don’t Look Up, autre film Netflix, avec un casting tout aussi étoilé et réalisé par Adam McKay, une comédie en prise directe avec l’actualité elle aussi, mais qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Mais qui a envie d’être méchant avec Quentin Dupieux ? Ses précédents films plaident plutôt en sa faveur, son dernier opus serait-il un accident de parcours ?

Peut-être que la mauvaise idée était de s’emparer précipitamment de sujets délicats sans aucun recul, sans trop savoir quoi en penser réellement et auquel cas ça prouverait, une fois de plus, que ce n’est qu’en prenant de la distance et de la hauteur que le cinéma arrive le mieux à restituer le réel. Après tout la définition du réel est non seulement Qui a une réalité, mais aussi qui a ou a eu une véritable existence .

Tewfik Hakem