Carole, Raphaël, François… et les autres
À Bram ce week-end, les sociaux-démocrates ont démontré leur force et leur talent politique. Il manque à ce courant revenu en grâce dans l’opinion une feuille de route et une « incarnation ».
Dans le parc des Essarts de Bram, la chaleur militante nimbait une belle photo de famille automnale. Le rendez-vous rituel de la présidente d’Occitanie est un succès de participation, un symposium talentueux. Marque-t-elle pour autant un saut qualitatif pour l’organisation d’une gauche de gouvernement ? C’est là que le doute s’insinue…
Certes, ce furent des retrouvailles réconfortantes pour un courant sous-estimé, quoique pierre angulaire de la gauche en France et dans l’UE, comme les médias commencent à s’en apercevoir. Ce fut aussi l’occasion de jauger le talent oratoire et l’expertise – indiscutables – des principaux porte-parole de cette mouvance quelque peu dispersée.
Pour effacer la césure ruraux-citadins, Karim Bouamrane innove en comparant la réalité vécue de Saint-Ouen et celle du Limousin. Fort de son parcours, il esquisse un pont entre la désertification médicale rurale et les ségrégations dont sont victimes les habitants des quartiers populaires urbain, tout en annonçant qu’il lancera son propre mouvement la semaine prochaine à Saint-Ouen. Dans un style plus austère, mais rigoureux, Patrick Kanner s’évertue à démontrer la compatibilité du sérieux budgétaire avec la relance du pouvoir d’achat, à l’heure où les experts s’inquiètent du poids de la dette et des taux d’emprunt qui s’emballent. Mickaël Delafosse ferraille avec verve contre Rachid Benzine pour démontrer que la laïcité n’a rien à voir avec les discriminations et qu’elle est indissociable de l’identité de la gauche républicaine face aux offensives religieuses.
A la mi-journée, on peut passer des nourritures intellectuelles aux agapes plus tangibles couronnées par l’incontournable cassoulet local, tandis que François Hollande, Bernard Cazeneuve, Raphaël Glucksmann s’assoient, tels les chevaliers de la Table Ronde, autour de la nouvelle reine Guenièvre, Carole Delga.
Après le café, viennent les morceaux de bravoure. François Hollande et sa légendaire faconde tissée d’expérience, suivi par Raphaël Glucksmann, révélation européenne de la gauche, font bicher l’auditoire. Chacun s’accorde à dénoncer la dangerosité du mélenchonisme et la dérive du gouvernement Barnier sous vidéosurveillance de Le Pen, très loin du front républicain voulu par les électeurs.
Tranchant, Nicolas Mayer Rossignol dessine en pointillé la prochaine bataille du congrès socialiste, sous l’œil attentif de la garde rapprochée de la maire de Paris, tandis que Loïg Chesnais-Girard, président de Bretagne, braque le projecteur sur « les questions du quotidien ». Comment regrouper ce courant de pensée toujours aussi dispersé ? « Bosser », répond Carole Delga, dans une conclusion aussi lapidaire qu’énergique.
Mais demain ? Écrire un nouveau récit pour la gauche républicaine à l’heure où chacun perçoit la fragilité du moment : voilà une œuvre pie. Se « cogner au réel » pour renouveler le discours politique : juste lucidité. Il y manque, de toute évidence, une feuille de route. Les sociaux-démocrates se rejoignent et se confortent : voilà une bonne nouvelle. Mais à s’arrêter là, à garder le même logiciel dans une période nouvelle et à laisser dans l’ombre le moyen de choisir une « incarnation » consensuelle et efficace, la social-démocratie risque de laisser la réunion de Bram devenir un rituel fraternel, une sorte de Dimanche à la campagne, un remake du film de Sautet intitulé Carole, Raphaël, François et les autres, agrémenté d’une Grande Bouffe sans lendemain. Or l’Histoire, elle, n’attend pas.