Ceci n’est pas une banane…

par Bernard Attali |  publié le 26/11/2024

L’art contemporain suit parfois des chemins trop déroutants, où les forces du marché dépassent de loin celles de la création.

L'installation artistique "Comedian" de Maurizio Cattelan a été vendue aux enchères chez Sotheby's à New York, achetée par un entrepreneur chinois en cryptomonnaie pour environ 6,2 millions de dollars. (Courtesy Sotheby's)

Chez Sotheby’s une simple banane scotchée sur un mur a été vendue aux enchères la semaine dernière pour 6, 2 millions de dollars !

Cette « œuvre » intitulée Comedian, était déjà apparue à la foire d’art contemporain d’art Bazel de Miami en 2019. Son auteur, Maurizio Cattelan, l’avait alors vendue à un collectionneur français pour 120. 000 dollars. Une jolie culbute en cinq ans ! Cette fois c’est un riche homme d’affaires chinois, Justin Chan, qui en a fait l’acquisition. À noter que cet amateur a fait fortune en spéculant sur les crypto-monnaies. Les réseaux sociaux ont évidemment joué leur rôle dans cette extravagante surenchère entre maisons de vente et spécialistes « d’art contemporain » . On est très loin du modeste urinoir de Duchamp.

Résumons : un objet d’une rare banalité est érigé par on ne sait qui au rang d’œuvre d’art, acheté une somme folle via de l’argent virtuel, promu sur la toile, avant d’être revendu encore plus cher sans aucun doute. Je parie qu’on se l’échange déjà en NFT. Il n’y a pas que les singes qui aiment les bananes.

Je ne vois pas de preuve plus éclatante de la vacuité de notre époque, que la cupidité des hommes et l’emprise du virtuel déconnectent de plus en plus des réalités. Hier nos surréalistes étaient parfois des jobards mais l’argent n’était pas leur moteur. Aujourd’hui on parle du « marché de l’art » sans même relever ce que trahit une telle formule. Cattelan a récemment qualifié son travail de : « réflexion sur ce à quoi nous donnons de la valeur. » On ne saurait mieux dire. Essaierait-il d’apparaître maintenant comme le premier détracteur de ce qu’est devenu l’art contemporain ? J’aimerais lui faire ce crédit. Rien n’est moins sûr.

Bernard Attali

Editorialiste