Censure : la faute aux socialistes ?
À l’unanimité, les 66 députés PS, ont donc décidé de voter la motion de censure qu’a déposé le Nouveau Front Populaire. Aussitôt la droite et les macroniens leur imputent la responsabilité de la crise. Vieille tactique du bouc émissaire.
La droite vocifère comme elle sait si bien le faire quand elle est en difficulté, avec cet argument de cour de récréation : c’est pas moi, m’sieu, c’est les autres ! En l’occurrence les socialistes et en particulier le plus connu d’entre eux, François Hollande, qui manœuvrerait en coulisses pour faire tomber le gouvernement. Le PS et l’ancien président de la République, dit-elle, vont provoquer le chaos et ouvrir une crise politique dangereuse pour la France.
La droite macronienne a la mémoire courte. Comme si ce n’était pas Emmanuel Macron qui avait décrété il y a six mois une dissolution insensée, dont personne n’a encore compris l’utilité. Comme si Bruno Lemaire et Gabriel Attal n’avaient pas laissé les comptes de la France dans une situation tellement préoccupante qu’elle implique des solutions drastiques pour redresser le pays.
Comme si Bernard Cazeneuve n’avait pas été écarté sans cérémonie ni explication. Comme si l’actuelle majorité relative avait, un tant soit peu, tenté de jeter quelques ponts vers les socialistes, d’envisager des concessions, d’élargir son assise. La droite macronienne a préféré conclure un pacte tacite avec le RN et mener une politique dictée par LR Cette construction étant tombée en poussière, le RN s’apprêtant à tirer le tapis sous ses pieds, elle appelle au secours les socialistes pour qu’ils servent de béquille à un gouvernement de droite. Un peu fort de café, tout de même…
Comme si, tout autant, Michel Barnier n’avait pas échoué depuis trois mois qu’il a été nommé Premier ministre à construire un budget suffisamment convaincant pour être à minima défendu par la majorité relative qui est censée le soutenir. Et comme s’il ne s’était pas gravement trompé dans la méthode : en laissant le débat s’éterniser à l’Assemblée jusqu’au bout des 40 jours réglementaires, loin de progresser vers le consensus qu‘il espérait dégager, il n’a réussi qu’à ouvrir la porte à toutes les surenchères.
Chaque chef de groupe y est allé de ses contre-propositions clientélistes : Laurent Wauquiez en rabotant le gel des pensions des retraités ; Gabriel Attal en bataillant pour préserver l’allègement des charges des entreprises et enfin Marine Le Pen en exigeant qu’on protège le pouvoir d’achat des français et qu’on renonce donc à la hausse de la taxe sur l’électricité. Le tout dans une cacophonie inédite qui a peu à peu vidé de tout sens le projet de budget de Michel Barnier.
A croire que les femmes et hommes politiques français sont plus retors que ne l’ont été les fonctionnaires européens en charge du Brexit : la méthode Barnier a fait un flop, et loin de rapprocher les oppositions des uns et des autres, elle les a renforcées, jusqu’à susciter une motion de censure qui peut renverser le gouvernement.
Quant à la gauche, elle s’est montrée unie malgré ses vives dissensions internes, pour ferrailler dans l’opposition contre un budget qui a, selon elle, tous les attributs d’une politique de droite. Avec, en prime, une faute tactique du Premier ministre : si Michel Barnier avait eu recours il y a plusieurs semaines au 49-3 pour faire passer son budget, il aurait pu éviter de voir le Rassemblement National se rallier à la motion de censure annoncée depuis le début par le Nouveau Front Populaire. À ce moment, Marine Le Pen était surtout occupée à se défendre devant les juges. Le procureur ayant requis contre elle le pire châtiment – l’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire – elle a tourné casaque et use de la censure pour détourner l’attention et donner l’impression de rebondir.
C’est donc bien une succession de fautes qui a mené le gouvernement Barnier au bord du précipice. Et c’est une tactique bien misérable que de faire porter le chapeau aux socialistes. Michel Barnier et la droite ont parié sur la neutralité du RN. C’est-à-dire qu’ils ont mis leur sort entre les mains de Marine Le Pen. C’est elle qui peut maintenant lever ou abaisser son pouce. Voilà ce qu’il en coûte de faire fond sur la bienveillance de l’extrême-droite, alors même que les électeurs avaient clairement récusé toute alliance avec elle.