Censure, le retour…

par Valérie Lecasble |  publié le 19/03/2025

La pression s’accentue sur François Bayrou qui a confirmé son refus d’un âge de la retraite à 62 ans. Après FO, la CGT claque la porte des négociations du conclave et la CFDT veut reprendre la main. Le spectre de la censure reparaît…

Le Premier ministre François Bayrou prononce un discours au Salon Global Industrie, près de Lyon, le 13 mars 2025. (Photo Olivier CHASSIGNOLE / AFP)

Le Premier ministre se croyait tiré d’affaire. Il avait fait adopter le budget 2025, il avait évité la censure en amadouant les socialistes et il voguait avec confiance vers 2027. Sa méthode semblait un atout : laisser faire ses ministres en usant de son habileté pour les contrôler. Grâce à son expérience, la mandature paraissait bien engagée. Las ! Son scénario commence à achopper. Fragilisé par l’affaire Betharram, supplanté sur la scène politique par le couple Macron-Lecornu, François Bayrou aborde deux virages dangereux : le réarmement, qui complique encore l’élaboration du budget 2026 et surtout le « conclave » sur les retraites, dont il a sous-estimé l’enjeu au point qu’il vient de capoter.

Comme lors de sa sortie sur la « submersion », François Bayrou a une nouvelle fois gaffé à l’Assemblée. Au lieu de rester évasif pour laisser le « conclave » se dérouler de lui-même, il a confirmé qu’il refusait tout retour à un âge pivot de 62 ans, ce qui a aggravé l’ire des syndicats et de la gauche. La maladresse s’est changée en prise de position. Du coup, après FO, la leader de la CGT, Sophie Binet, annonce qu’elle quitte la table des négociations. Quant à sa collègue de la CFDT, Marylise Léon, si elle accepte de les poursuivre, c’est dans un autre format, en dehors du gouvernement. Seule véritable concession accordée par François Bayrou à la gauche lors de la non-censure de son gouvernement, le conclave des retraites prend une fâcheuse tournure, bien loin de sa promesse initiale de négociations « sans tabou ».

En vingt-quatre heures, François Bayrou a fait voler en éclats la « victoire politique » qu’il devait donner aux socialistes, pour éviter la censure. L’idée était de s’accorder sur un âge légal de 63 ans, soit l’âge moyen effectif auquel les Français partent déjà à la retraite, ce qui ne coûterait guère aux finances publiques. En échange, commente Michel Sapin, ancien ministre socialiste, on pouvait « allonger la durée de cotisation pour ceux qui ont commencé à travailler tard ». L’enjeu est « le taux d’emploi », confirme-t-on à Bercy. En clair, les Français devront travailler davantage.

On y parvenait en passant la patate chaude… aux partenaires sociaux. Bayrou pouvait leur concéder la réparation des injustices flagrantes de la réforme de 2023 sur les carrières longues et les femmes. Il envisageait surtout de leur restituer la gestion du régime général des retraites, qui évoluerait vers un système comparable à celui de l’Agirc-Arrco, dont l’équilibre résulte de l’utilisation de toutes les variables : le nombre des annuités, la valeur du point, la désindexation et les bonus-malus. La CFDT y est favorable, qui voit là un motif de reconnaissance et les prémisses d’un régime par points qui pourrait être adopté au-delà de 2027. Mais c’était avant … les 62 ans. « Il n’a pas compris que les socialistes attendent de lui de vraies concessions », dit l’un d’eux, tandis qu’Olivier Faure remet sur la table la possibilité d’une censure.

Situation d’autant plus fâcheuse que ce n’est pas le seul sujet de courroux pour les socialistes : ils soupçonnent aussi le Premier ministre de vouloir sacrifier le modèle social français sur l’autel du réarmement. « Nous n’échangerons pas nos pensions contre des munitions. Nous voterions la censure », menace le placide Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat, que l’on a vu négocier la non-censure aux côtés d’Olivier Faure et de Boris Vallaud.

Bayrou chutera-t-il sur le budget 2026 ? L’équation paraît quasi-impossible depuis que Lecornu réclame 100 milliards d’euros pour réarmer le pays. Endettée à hauteur de 3 300 milliards, la France a d’autant moins de marge de manœuvre qu’Emmanuel Macron a interdit toute hausse des impôts, suggérant en privé de lâcher les cordons de la bourse. Ce que refuse le gouvernement alors que les intérêts de la dette coûtent déjà 50 milliards, l’équivalent du budget de la Défense.

Quelques leviers demeurent pour trouver le chemin d’un compromis. D’abord poursuivre la chasse au gaspi entamée avec la revue des dépenses de l’État. « En votant le budget avec deux mois de retard fin février, la France a économisé 6 milliards d’euros », souligne l’ex-ministre de l’économie Michel Sapin. En 2026, un « budget base zéro » remettra en question l’utilité de chacune des dépenses publiques, avec une attention particulière pour les collectivités locales, dont les surcoûts nés d’une structure en millefeuille ont été dénoncés par la Cour des Comptes.

Ensuite s’attaquer aux impôts des plus riches, dont la contribution à l’effort collectif est aussi un élément de cohésion sociale. Dans le viseur : l’optimisation fiscale, qui permet aux plus fortunés de loger leurs revenus dans des holdings patrimoniales réduisant leur imposition. Sans oublier les nombreuses niches fiscales dont bénéficient les familles les plus aisées.
L’augmentation pendant un an de la fiscalité des grandes entreprises doit aussi rapporter 8 milliards d’euros en 2026. Mais tout cela ne suffira pas. Même si les industries de défense peuvent être financées en fléchant vers elles l’épargne des Français, ce sera l’État qui réglera la facture au bout du compte.

Écartelé entre sa droite et sa gauche qui lui réclament des gages contradictoires, voilà François Bayrou bien embarrassé. Une seule solution : laisser la CFDT négocier sur les retraites et le ministre de l’Économie Eric Lombard chercher un compromis sur le budget. Mais pour y parvenir, Bayrou la gaffe doit se mettre en retrait…

Valérie Lecasble

Editorialiste politique