Censure, piège à cons
Le RN, dit-on, s’apprête à voter une motion de censure que présenterait la gauche, ce qui jetterait bas le gouvernement Barnier. Ceux qui prêteraient la main à cette opération doivent le savoir : il peut en sortir le pire.
C’est le scénario qu’on agite depuis que le RN a fait savoir qu’il pourrait se joindre à la gauche pour voter la censure : les voix lepénistes additionnées à celles du NFP faisant une majorité, Michel Barnier passerait à la trappe. Mais alors qui le remplacerait ? Une autre personnalité appuyée sur le « socle commun » de la droite et du centre ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on voit mal pourquoi l’impétrant échapperait à une deuxième censure.
Un Bernard Cazeneuve trouvant une coalition de centre-gauche pour le soutenir ? C’est arithmétiquement possible : droite et RN réunis ne sont pas majoritaires, il faudrait donc qu’une « gauche anti-Cazeneuve » vote avec eux pour censurer ce gouvernement. C’est impossible ? Peut-être, il faut le souhaiter. Mais la solidité du nouvel attelage de centre gauche serait pour le moins précaire. Il lui faudrait en effet se mettre d’accord sur le budget, ce qui s’apparente à la quadrature du cercle : les députés de gauche qui soutiendraient ce gouvernement voudront augmenter les impôts, alors que ceux du centre le refuseront énergiquement. Certes tout est possible en ce bas monde. Mais là, il s’agirait de marier l’eau et le feu.
Le risque est donc grand d’aboutir à une impasse. La dissolution étant impossible, RN et LFI exigeront aussitôt qu’on retourne devant le peuple par le seul moyen disponible : une élection présidentielle, obtenue par la démission d’Emmanuel Macron. Le président pourra refuser. Mais il peut aussi se retrouver acculé, contraint de se sacrifier pour sortir le pays de la crise politique.
Ce qui nous fait courir un nouveau risque, dont la matérialisation nous plongerait en plein cauchemar. Imaginons : mieux préparés, légitimés par le désordre ambiant et par la division de leurs adversaires pris de court, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon se retrouvent en tête du premier tour. Voilà donc les Français contraints de choisir entre la peste et le choléra, au grand désarroi de tous les partis de gouvernement, avec une forte probabilité de voir le RN, soutenu au second tour par la droite, entrer à l’Élysée. Un sondage IFOP de Valeurs actuelles fondé sur cette hypothèse donne 64% à Marine le Pen et 36% à Jean-Luc Mélenchon. Et si Mélenchon est distancé au premier tour, la cheffe du RN gagnerait de peu face à Gabriel Attal.
Dans ces conditions, beaucoup de choses reposent sur l’attitude du PS. S’il refuse de voter la censure, la crise est évitée. Mais peut-il refuser de voter avec le NFP ? Difficile connaissant Olivier Faure. À tout le moins, les socialistes devraient faire un effort d’anticipation et proposer un nom pour gouverner, avant de renverser Barnier, avec les grandes lignes d’un programme : c’est la seule attitude responsable. Sinon, la crise leur pend au nez, totalement imprévisible.
Ce sont purs scénarios, dira-t-on avec raison ; avec les « si », on peut mettre n’importe qui dans le fauteuil présidentiel. Certes, certes… Mais qui peut affirmer que tout cela est invraisemblable ? Ce qui nous ramène à notre avertissement : censure, piège à cons.