Censurer LFI ou l’extrême-droite ? La stupide tentation
Meetings d’extrême-droite et d’extrême-gauche en France et en Belgique : l’interdiction est illégitime, et n’a d’autre effet que de faire passer les extrémistes pour des martyrs.
Dangereuse manie, qui tend à s’instaurer, et qui consiste à interdire les réunions dont les participants sont accusés de tenir des propos outrageants pour telle ou telle fraction de l’opinion. On avait déjà annulé des conférences dont les oratrices ou des orateurs déplaisaient souverainement à des groupes LGBT radicaux. À Bruxelles, cette fois, le maire d’Etterbeek, une commune proche de Bruxelles, interdit un colloque ressemblant plusieurs figures de l’extrême-droite européenne. En France, trois meetings de la France insoumise sont proscrits par des autorités universitaires en raison des positions de ce parti sur la question israélo-palestinienne. À chaque fois, bien sûr, à la suite de ces stupides interdictions, les intéressés prennent avantageusement la pose du martyr.
S’agissant des deux derniers exemples, je ne partage aucune des idées qui devaient s’exprimer lors de ces manifestations publiques. Mieux : je ne cesse de les dénoncer à longueur d’éditoriaux. Mais je m’inquiète tout autant de ce prurit répressif qui semble se répandre au sein de nos régimes de liberté, parfaitement contraire à leurs principes fondateurs.
Principe
Il n’est pas interdit d’interdire en démocratie. Mais cette censure doit obéir à un principe simple : l’expression est libre, sauf répondre de l’excès de cette liberté dans les cas déterminés par la loi (racisme, diffamation, appel à la haine ou à la violence…) Aussi la vraie question est celle-ci : aussi critiquables, choquants, outrageants soient-ils, les propos tenus par Nigel Farage, Suella Braverman, Viktor Orban ou Éric Zemmour tombent-ils sous le coup de la loi ? On peut le regretter, mais la réponse est non. Et si tel était le cas, il est loisible aux opposants de porter plainte et d’obtenir, après coup, une sanction légale. D’ailleurs l’interdiction édictée par le maire belge a été aussitôt cassée par le Conseil d’État de Belgique et la réunion d’extrême-droite a pu se tenir. De même, aussi critiquables, choquants, outrageants soient-ils, les discours des dirigeants de LFI sont-ils illégaux ? On peut le regretter, mais la réponse est non. Dès lors, s’ils n’abusent pas de leur liberté (selon la définition légale), ces orateurs ont le droit de se réunir pour discourir comme bon leur semble, tout comme leurs opposants ont le droit de dénoncer avec force la fausseté, l’inanité ou le caractère scandaleux de leurs propos.
Souvent, les autorités qui procèdent aux interdictions invoquent le risque de « trouble à l’ordre public ». L’ennui, c’est qu’on désigne souvent par ce terme les simples menaces proférées par tel ou tel groupe d’opposants avant la tenue de la réunion. Si cette coutume se répand, il suffira désormais d’envoyer un mail ou un message sur les réseaux en agitant le spectre d’une contre-manifestation pour que la réunion soit interdite. Commode… Là aussi le Conseil d’État belge a fourni la réponse : « En pareils cas, explique-t-il, il convient de prendre des mesures pour contenir les manifestations sur la voie publique, plutôt que d’interdire une réunion privée. L’autorité doit au moins s’efforcer de protéger les personnes qui entendent exercer leur droit à se réunir, inscrit dans la Constitution. »
Bien entendu, tout cela ne va pas sans quelques distrayants paradoxes. L’extrême-droite ne cesse de dénoncer « le pouvoir des juges », qui limiteraient le pouvoir souverain des élus. Mais dans le cas d’Etterbeek, ils ont demandé à des juges de désavouer le maire élu par ses concitoyens. Et bien entendu, aucun des responsables d’extrême-droite – pourtant si prompts à dénoncer la « cancel culture » – n’ont protesté contre l’interdiction des meetings de la France insoumise. Il est vrai qu’aucun Insoumis n’avait critiqué l’interdiction du meeting nationaliste à Etterbeek. Au fond, tous défendent la liberté d’expression, à condition que ce soit la leur, et non celle du voisin.