Charles de Courson, producteur de cinéma…

par Jérôme Clément |  publié le 22/10/2024

Le député propose de restreindre les crédits dévolus au cinéma français. Avec une méthode qui rendra jaloux les meilleurs professionnels du grand écran.

Le député et rapporteur général du Budget Charles de Courson lors d'une séance de débat sur l'orientation et la programmation des finances publiques à l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2024. (Photo de Julien DE ROSA / AFP)

L’idée est simple, brillante, inattendue, tel l’œuf de Christophe Colomb. Pour économiser les deniers de l’État, qui sont dilapidés par ces saltimbanques irresponsables qui se disent producteurs de cinéma, Charles de Courson, rapporteur général du Budget à l’Assemblée, propose de ne plus subventionner les films qui n’ont pas de succès. Comment n’y a-t-on pas songé plus tôt ? Halte au gaspillage, donc : l’argent public ira désormais aux films… qui trouvent leur public

Comment faire ? Charles de Courson ne le dit pas mais on est sûr que les idées ne lui manquent pas. Il suffirait, par exemple, de constituer une commission de parlementaires, dont il ferait partie, et qui séparerait le bon grain du film à succès de l’ivraie des œuvres confidentielles. Nul doute que la profession du cinéma y verra une planche de salut : grâce à la sagacité de ces augures parlementaires, elle pourrait désormais investir à coup sûr.

Rien de plus simple, en effet, que d’anticiper l’énorme succès du Comte de Monte Cristo, même s’il a été moyennement accueilli à Cannes, et qu’existaient déjà d’innombrables versions ! Un peu de jugeotte y aurait suffi : neuf millions de spectateurs en salle à ce jour, sans compter les résultats à l’étranger… Après tout, ce film à grand spectacle, à la production onéreuse, a été conçu pour cela.

Plus difficile, sans doute, était de prévoir le succès de Yannick, de Quentin Dupieux, petit film tourné en quelques semaines, pour moins d’un million d’euros, qui a réuni plus de 400 000 spectateurs, chiffre inespéré. Sans parler d’Un p’tit truc en plus, réalisé par Artus, qui met en scène des jeunes en situation de handicap, sujet difficile a priori, mais qui a remporté l’un des plus gros succès du cinéma français avec près de 11 millions de spectateurs. Le Darryl Zanuck du Palais-Bourbon aurait-il pris le risque ? Ou bien aurait-il décidé que ces films ne devaient pas être soutenus, trop chers, ou trop loufoques, pas assez ambitieux ou déjà vus ?

On comprend vite la faille de la « recette de Courson » : personne, en fait, ne sait avant la sortie en salle ce que sera l’accueil du public. Des films improbables font un carton, d’autres, attendus, se plantent royalement. Ceci compense cela. En fait, la sortie du rapporteur n’a qu’un but : réduire les crédits du cinéma. Est-ce une bonne idée ? Petit rappel : sans les aides du Centre du Cinéma et de l’image animée, la plupart des films ne verraient pas le jour. Géniale invention datant des accords Blum-Byrnes de 1947, perfectionnée depuis à mesure des évolutions technologiques, l’aide à la française s’autofinance grâce à une taxe sur les divers modes de diffusion, redistribuée par les différents soutiens automatiques ou sélectifs qui vont aux producteurs, aux distributeurs et aux salles de cinéma. Au vrai, la France a le meilleur système au monde, envié et copié par d’autres pays. Il a permis de résister aux crises qui ont agité le secteur, alors qu’ont sombré – hélas ! – les cinématographies voisines. Pleurons, notamment, sur feu le cinéma italien.

Les mêmes politiques apprentis sorciers s’enorgueillissent de voir briller notre cinéma dans le monde, à Hollywood qui pourrait couronner cette année le remarquable film d’Audiard, Emilia Perez, à Venise ou à Berlin chaque année, où de nouveaux talents s’affirment et d’anciens se confirment. Apparemment, de Courson n’en a cure, alors que la France retrouve en 2024, le niveau de spectateurs qu’elle avait avant la pandémie de la COVID (près de 200 millions de spectateurs), grâce à son système de soutien. Allons-y : faisons des économies sur les aides au cinéma (quelques centaines de millions d’euros) ! Tant pis pour les emplois, la création, le rayonnement… On croit rêver !

On pensait ce monsieur de Courson sérieux, bon connaisseur des finances publiques, et sans a priori idéologique. Encore une illusion qui tombe, : un banal politicien, qui reprend à son compte les fausses bonnes idées sorties d’on ne sait quel placard.

Jérôme Clément

Editorialiste culture