Chine-Afrique: je t’aime moi non plus

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 17/02/2024

La Chine, en crise, a autant besoin de l’Afrique que l’Afrique d’elle, pour ses finances

Lorsque l’on considère les relations entre l’Afrique et la Chine, on est frappés de voir d’une part la continuité de l’engagement chinois sur le continent depuis plus d’un demi-siècle, d’autre part l’affaiblissement corrélatif des autres grandes puissances. C’est autour des années 2010 que se situe le principal tournant, celui qui voit la Chine prendre le pas non seulement sur les États-Unis, mais aussi sur l’Union européenne, et ses principales ex-puissances coloniales, la France et le Royaume-Uni dont au contraire le volume de prêts fléchit fortement.

En 2020, alors même que le montant des prêts chinois a fortement ralenti par rapport au pic de 2016 (en passant de près de 30 milliards de dollars à un peu plus de 2 milliards), la Chine représente encore 8,7 % de la dette extérieure africaine. En comparaison les États-Unis s’effondrent à moins de 1 % en étant à plus de 10 % un demi-siècle auparavant, le Royaume-Uni maintient un peu mieux ses efforts, mais tombe sur la même période d’environ 7 % à 1,6 %.

Quant à la France, elle dégringole d’environ 15 % à 2,2 %. La Chine devient donc dès les années 2010 le premier pays créancier bilatéral de l’Afrique et le reste encore largement malgré le ralentissement observé en 2022 et probablement 2023.

Mais ce ne sont en effet pas principalement des investissements directs qui caractérisent l’investissement chinois. En ce sens, la Chine partage avec les autres pays et les investisseurs privés le peu de goût pour le risque dans des pays encore considérés comme peu fiables et politiquement instables.
Sur le plan économique, la Chine se pose moins comme investisseur que comme prestataire de services. En 2022, pour moins de 5 milliards de dollars d’investissements directs, les Chinois ont fourni plus de 37 milliards de contrats de prestations de services, soit presque 8 fois plus.

Son autre préoccupation économique principale est de disposer d’un maximum des matières premières dont l’Afrique regorge, minerais notamment de charbon, de cuivre, de bauxite ou d’hydrocarbures, mais aussi de ressources plus rares et stratégiquement essentielles à l’heure du changement climatique (cobalt, lithium, uranium …ou terres rares). Cette stratégie lui permet non seulement d’assurer l’approvisionnement de ses industries, mais aussi de veiller à ce que d’autres grandes puissances ne s’en emparent pas.

Sur le plan géopolitique, la stratégie chinoise vise aussi à conforter son influence internationale. D’un côté la Chine rappelle sans cesse son absence de tout passé colonial dans le continent et donc son souci altermondialiste d’aider les peuples en difficulté, mais de l’autre, elle se comporte de telle manière que par l’absence de gros investissements directs comme par l’importance des contrats de services gagnés par ses entreprises, elle ne contribue guère au développement et notamment à l’industrialisation des pays dans lesquels elle œuvre. En ce sens elle se comporte exactement comme un autre prédateur, « impérialiste » ou ancienne puissance coloniale.

Cette influence croissante se traduit aussi par l’accroissement du nombre de pays africains dans l’élargissement récent des BRICS, au sein desquels Chine et Russie jouent un rôle leader. À l’Afrique du Sud, s’adjoignent désormais l’Égypte et l’Éthiopie.

Autant l’Afrique n’est pas en mesure de se défaire des griffes financières du dragon, autant la Chine a besoin de ce réservoir considérable, sources d’autant de ressources naturelles que de ressources politiques et idéologiques.

Jean-Paul de Gaudemar

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