Chine et Russie : le mariage des pirates

par Pierre Feydel |  publié le 24/04/2024

Des Citroën russes fabriquées grâce à des pièces importées de Chine. Ou comment aider en sous-main militairement Moscou…

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le président chinois Xi Jinping lors d'une réunion à Pékin- Photo Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP

Cela s’appelle du piratage industriel. Stellantis le groupe automobile qui possède entre autres la marque Citroën, a découvert avec stupeur que, sur un site russe, citroen.ru, 96 Citroën du modèle C5 Aircross, un gros SUV, étaient mis en vente. Or, le constructeur français a perdu le contrôle de l’usine de Kalouga en Russie centrale, où étaient supposés être assemblés ces véhicules. Le groupe a fermé l’usine dès les premières semaines de la guerre en Ukraine. Et, comme d’autres entreprises,  a fini par renoncer à produire sur place.

Et le 27 mars dernier, un société toute nouvelle, Automotive  Technologies, a annoncé l’assemblage en série des C5 dans cette même usine. Les voitures sont assemblées à partir de kits de 1700 pièces importés en Russie. Par qui ? Par Dong Feng. La firme automobile chinoise n’a d’ailleurs pas daigné répondre aux questions de FranceInfo qui a enquêté sur cette affaire. Stellantis lui a pourtant écrit pour lui expliquer qu’il n’avait pas le droit d’exporter ces pièces en Russie. Sans résultat.

Le groupe français connait bien Dong Feng Motor Corporation, le second groupe automobile chinois. Il emploie 110 000 salariés et produit plus de 4 millions de véhicules par an. En 2014, il s’est porté avec l’État français au secours de PSA en faillite en prenant une participation de 14 % dans son capital. Depuis que la société française est devenue l’entité tricolore de Stellantis, la part chinoise a été diluée et le groupe français a entrepris d’en racheter les actions. En fait, cette histoire illustre parfaitement la connivence entre Russes et Chinois pour contourner non seulement les règles les plus évidentes du commerce international, mais se moquer des sanctions économiques de l’Occident vis à vis del a Fédération de Russie.

Une stratégie qui ne relève pas de la magouille entre deux groupes privés, mais bel et bien d’une ruse délibérée des autorités de deux états. Dong Feng est une entreprise d’État chinoise. Côté russe, Pavel Bezroutchenko, qui représente Automotive Technologies et donc préside aux activités de l’usine de Kalouga, est aussi l’ancien directeur adjoint du département automobile du Minpromtorg, le ministère russe de l’Industrie et du Commerce.

Ce qui se passe aujourd’hui dans le domaine civil est évidemment aussi le cas pour ce qui est de l’armement. Les tours de passe-passe opérés pour fabriquer des produits étrangers en Russie en faisant passer les composants de ces équipements par la Chine sont parfaitement utilisables pour du matériel militaire. Le 11 avril dernier, les États-Unis ont dénoncé l’attitude de Pékin permettant à Moscou de mener «  sa plus importante expansion militaire depuis l’ère soviétique. »

La Russie achète en Chine, toujours selon Washington, massivement des composants électroniques, des machines-outils et des explosifs précisant que des « entités chinoises et russes travaillaient à produire ensemble des drones. » La Chine ne prend même plus la peine de démentir.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire