Chine – Laos : l’Emprise du milieu

par Valérie Lecasble |  publié le 24/02/2024

Route et barrages contre or et pierres précieuses, le Laos doit remettre à la Chine les clefs de son développement. Au risque d’y perdre son âme

VIENTIANE, 12 mai 2023- Des soldats chinois assistent à la cérémonie de lancement de l'exercice conjoint Bouclier de l'amitié Chine-Laos-2023 au Laos, le 11 mai 2023 - Photo Yang Jicheng/Xinhua

« Je n’aime pas les Chinois ! Ils sont trop nombreux, trop bruyants, trop mal élevés ». Soukpha, jeune Laotienne aux longs cheveux noirs et à la voix douce, qui parle un excellent anglais, ne cache pas son dégoût devant le crachat lâché au bord du Mékong par un touriste chinois. Ce mal élevé vient de la pousser pour accéder au bateau où il va fêter le Nouvel An avec des amis. « Nous, Lao, n’aimons pas élever la voix. Le bouddhisme nous a appris la modération, le chemin du milieu ». Sa colère vient de loin…

Dans ce pays enclavé d’à peine 7 millions d’âmes, traversé du nord au sud par le Mékong sans aucun accès à la mer, l’histoire du pays a été celle d’une domination permanente. Par la Thaïlande voisine où de nombreux Lao ont été déportés pour y travailler comme main d’œuvre à bon marché. Par la France, quand elle a colonisé l’Indochine. Par les États-Unis, pendant les neuf années de guerre au Vietnam quand ils ont largué sur la trop fameuse piste Ho-Chi Minh une bombe toutes les huit minutes. Par le Parti révolutionnaire du peuple lao, lorsqu’il a proclamé l’indépendance en 1975, envoyant ses habitants en camp de rééducation et précipitant les rescapés dans une fuite éperdue vers la France ou l’Amérique. « Une période difficile », commente notre jeune Laotienne.

Nul n’a pu dénombrer les morts du siècle dernier, trop nombreux. Après dix années d’une éprouvante parenthèse communiste, le pays ouvre son économie au libéralisme. Mais il reste affaibli. La densité de sa population, décimée, est la plus faible d’Asie. Elle vit dans la misère. Avec un salaire moyen d’à peine 120 dollars (110 euros) par mois, sans indemnité chômage, ni retraite, ni assurance, sans médecin ni hôpital pour les soigner, les Lao comptent sur la solidarité familiale. Les jeunes nourrissent les anciens qui s’occupent des enfants pendant que les parents travaillent, surtout dans les champs. Ils y cultivent le riz, le manioc, le coton et le tabac, y élèvent buffles, bovins, moutons et volailles. Les femmes tissent à la main de splendides étoles qu’elles vendent pour quelques dollars sur les marchés.

Dans les villages des montagnes du Nord où se côtoient de multiples ethnies, les maisons en toit de paille ont une seule pièce où s’entasse la famille qui dort à même le sol, cuisine au feu de bois et laisse les enfants se laver à la rivière.

 La route qui relie l’ex-capitale royale Luang Prabang à la Chine a été goudronnée par les Chinois. Sur cet axe se presse un incessant ballet de camions qui transportent des tonnes de marchandises empaquetées dans de grosses toiles. La police laotienne multiplie les contrôles dans ce coin du Triangle d’or où perdure le trafic, d’amphétamines, d’opium, de cocaïne.

Dans la plaine roule au loin le train électrifié qui relie depuis trois ans Vientiane, la capitale, à la frontière chinoise. Indispensable tronçon du chemin de fer qui achemine les marchandises dans toute l’Asie du Sud-Est. Sa construction a été financée à 70 % par des fonds chinois. Pour les 30 % restants, le Laos s’est endetté auprès de Pékin !

Les Chinois ont aussi obtenu des concessions de mines d’or et de pierres précieuses, se sont vu confier l’édification de barrages hydrauliques., et ont racheté la compagnie aérienne, Lao Airlines qui transportera en priorité… des Chinois.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique