Christine Angot, l’arme de l’image

par Thierry Gandillot |  publié le 22/03/2024

Violée par son père, Christine Angot a décidé de mener son enquête dans un film, « Une famille », auprès de ses proches: Éprouvant, mais puissant.

Insister. «  Insister, pourquoi ? » se demande Christine Angot dans une conversation publique avec Laure Murat au Théâtre National de Strasbourg, le lendemain de la première de la pièce que le metteur en scène Stanislas Nordey a tiré de son roman « Voyage dans l’Est ». Et la réponse, plutôt surprenante : « Insister parce que je me suis rendu compte que les choses ne passaient pas. N’étaient pas comprises. J’ai eu beau écrire deux livres, trois livres, quinze livres, avoir des critiques dans la presse, ce n’est pas compris, pas entendu. »

Après que la pièce a été reprise avec succès à Nanterre au Théâtre des Amandiers, voici que la romancière insiste de nouveau, avec un film cette fois. Un documentaire coup de poing qui interpelle ceux qui ont été témoins, silencieux, de l’inceste dont Christine a été victime dès l’âge de treize ans.

Les premières scènes sont spectaculaires. Christine Angot, tendue, mais déterminée, sonne à la porte de sa belle-mère, laquelle avait toujours jusque-là refusé de lui parler elle est accompagné de la directrice de la photographie Caroline Champetier, bien connue des cinéphiles et auréolée d’un César de la photographie en 2011 pour l’excellent « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois. Elle est fraîchement accueillie, mais glisse son pied dans la porte et pénètre dans une maison bourgeoise de Strasbourg. L’explication demandée, malgré les questions répétées, ne viendra pas. Frustrant, mais sidérant.

« Quand on sort, dit Christine Angot, on sait qu’on a filmé quelque chose qui habituellement ne peut être qu’une reconstitution comme dans “Festen”. Là, on a une scène vraie. On est dans le réel. Rien n’a été écrit à l’avance. C’est le 12 septembre 2021. On s’engouffre dans le taxi, dans un état d’épuisement indescriptible. »

Christine Angot va voir ensuite sa propre mère à Montpellier. La première entrevue est décevante. Au montage, la scène est dure. Mais sa mère lui a confié le carnet des notes qu’elle a prises pendant sa lecture du « Voyage dans l’Est » . Christine lui demande de les lire face à la caméra et revient. Le premier jour, sa mère s’effondre en larmes et il faudra une seconde prise, le lendemain, pour que des choses puissantes soient dites qui ne l’avaient jamais été.

 Son ex-mari, n’est pas très partant pour parler devant la caméra. Mais elle lui rappelle qu’il a été lui-même violé à l’âge de 11 ans et il finit par accepter la discussion. Christine lui demande pourquoi il n’est pas intervenu alors qu’il savait qu’un viol était de nouveau commis dans la maison même où il était. La jeune femme avait alors vingt-cinq ans.

Le documentaire, entrecoupé de photos et de films d’archives personnelles vieilles de trente ans ou d’une séquence clash lors d’une émission de Thierry Ardisson, se clôt par une belle et émouvante discussion avec sa fille. On sort de ce documentaire fracassant, essoré, perturbé, mais en se disant que oui, malgré tout, Christine Angot a eu raison d’insister.

Une famille de Christine Angot, 1h20- En salle

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture