Cinémathèque : les ailes coupées de la colombe

par Jérôme Clément |  publié le 15/03/2024

Mêler l’homme et l’artiste jusqu’à déprogrammer un vieux film comme vient de décider la Cinémathèque pour Benoît Jacquot….zèle ou frilosité?

D.R

On peut penser ce que l’on veut du cinéma de Benoît Jacquot et s’offusquer ou pas de ses relations connues avec ses jeunes actrices. Nous n’ajouterons pas ici de nouveaux commentaires à une affaire qui défraye la chronique depuis plusieurs semaines. Début 2024, il est accusé par l’actrice Judith Godrèche de viol sur mineur. À la suite de cette accusation, d’autres actrices témoignent à leur tour de violences exercées par le réalisateur. La justice instruit le dossier et rendra son verdict.

En revanche, on ne peut qu’être surpris, voire choqué, de la décision de la Cinémathèque de Paris, temple de la cinéphilie, de retirer de sa programmation deux films du dit réalisateur, dont la diffusion était prévue en mars 2024, Suzanna Andler et les Ailes de la colombe.

Le premier, Susanna Andler est un film de 2020, inspiré d’un livre de Marguerite Duras, interprétée notamment par Charlotte Gainsbourg. Le deuxième Les Ailes de la colombe date de 1980 et est adapté d’une œuvre d’Henri James. Il est interprété notamment par Isabelle Huppert et Dominique Sanda.

Les deux films ne présentent aucun caractère particulièrement scandaleux et font partie de la filmographie de Benoît Jacquot qui a porté à l’écran nombre d’œuvres littéraires avec de grands succès comme Villa Amalia de Pascal Quignard et Les adieux à la reine de Chantal Thomas au retentissement international.

Rien dans les deux films retirés de l’affiche ne mérite une quelconque censure. Ils ne l’ont donc été qu’en raison des plaintes portées contre le réalisateur par ses anciennes partenaires et par l’indignation compréhensible qu’elles ont suscitée.

On peut en profiter pour rappeler à la Cinémathèque la longue liste des auteurs ou artistes emprisonnés ou assassinés en raison de leur mode de vie, et de leurs excès, de Sade à Pasolini, du Caravage meurtrier à Oscar Wilde l’homosexuel. La création n’a jamais rien gagné à la censure, le public non plus et les maîtres-censeurs, les années passant, se déconsidèrent en cédant à la pression du moment. Mauvaise décision donc.

Qui seront les interdicteurs de demain, Rassemblement National aidant, et quelles raisons invoqueront-ils pour ne plus diffuser des films, des livres en s’appuyant sur le précédent Benoit Jacquot ?

Jérôme Clément

Editorialiste culture