Cinquante nuances de droite

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 15/10/2024

Immigration, Budget, quel que soit le sujet en débat, les échanges se déroulent entre centristes, libéraux et conservateurs. Face à une gauche qui semble hors-jeu.

Le Premier ministre Michel Barnier, à côté du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, avant la déclaration de politique générale à l'Assemblée nationale le 1er octobre 2024. (Photo par ALAIN JOCARD / AFP)

Pour de bonnes et de mauvaises raisons, la droite occupe aujourd’hui le terrain à elle seule. En son sein, toute la gamme des sensibilités y va de son opinion sur la meilleure manière de soigner les maux français. Au Parlement, bien sûr, mais aussi à l’intérieur du gouvernement, chacun joue sa partition. Un vrai concert frisant la cacophonie, mais qui laisse la gauche sans voix. Celle-ci préfère sans doute, par tactique, laisser l’ennemi s’entredéchirer sans se mêler à la bataille des idées. Le risque, pour elle, est de paraître n’en avoir aucune.

Immigration : sujet de polémiques par excellence, les propositions (qui restent à préciser même si on connaît leur philosophie) de Bruno Retailleau, le champion de l’ordre, provoquent des réactions en chaîne. Dans le diptyque « fermeté et humanité » de Michel Barnier, le mot « fermeté » semble l’emporter Place Beauvau. Les plus centristes de l’ex-macronie tordent le nez, comme ils l’avaient déjà fait pour la loi précédente. Le ministre Marc Ferracci affirme que « l’immigration, en particulier de travail, est une nécessité ». Les plus « réacs », à l’image d’Éric Ciotti, soutiennent des mesures choc pour limiter les flux migratoires. Des « lignes rouges » apparaissent, la Constitution est brandie, la nécessité d’un référendum, réclamé par le Rassemblement national, est débattue. La gauche se contente de condamner d’avance un projet contraire aux valeurs de la République. Mais que propose-t-elle sur un des sujets qui a sans doute fait basculer une partie de son électorat populaire vers Marine Le Pen ?

Budget : là aussi, on observe 50 nuances de droite. Les partisans de la politique de l’offre, favorable à la compétitivité des entreprises, regrettent les nouvelles contraintes qui vont peser sur celles-ci. Hausse de l’impôt sur les bénéfices, taxation des rachats d’action, baisse des allègements de cotisation…L’ancien premier ministre Gabriel Attal, comme son nouvel ami Gérald Darmanin, estiment que cela va trop loin. Ils préfèreraient davantage de coupes dans les dépenses. Et chacun d’y aller de son idée pour moduler les prélèvements et proposer des économies. Il y en a pour tous les goûts. On a même entendu la ministre Agnès Pannier-Runacher proposer de taxer davantage le gaz avant d’être contredite par son collègue de l’Économie. Lancée par l’ancien Président Nicolas Sarkozy, la question de la durée du travail en France est aussi sur la table. L’actuel chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a fini par dire son mot en réponse à une question sur l’équilibre à trouver entre taxation et réduction des dépenses : « La France doit continuer à réindustrialiser, innover et inciter à la création d’emplois ». Que propose la gauche ? Jusqu’ici, on l’a surtout entendue approuver les impôts sur les riches décidée par… Michel Barnier.

Un des nombreux espoirs du camp social-démocrate, Raphaël Glucksmann, a compris qu’il faudrait apporter des réponses sur le fond pour convaincre une majorité de Français. Et ne pas avoir de tabous : « Nous souhaitons nous attaquer à des thèmes qui ne sont pas traditionnels à gauche », a-t-il assuré lors de sa rentrée à Bram fin septembre. Il s’est mis au travail et promet des idées pour juin prochain. C’est lointain. Dans leurs interventions, les autres leaders non-LFI, de François Hollande à Bernard Cazeneuve en passant par les Karim Bouamrane, Carole Delga et autres Nicolas Mayer-Rossignol, s’affirment comme les représentants d’une gauche de gouvernement, mais ne sont pas plus explicites sur leur politique de rechange. La gauche non-mélenchoniste peut-elle attendre le dernier moment pour avoir un programme ? Dans le chaudron actuel, elle peut se retrouver aux manettes sur un… malentendu. Elle risque alors de se trouver fort démunie. Il serait peut-être bon qu’elle ait, dès maintenant, au moins autant d’idées que de prétendants…

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse