Claude Alphandéry : mort d’un siècle de résistance

par Bernard Attali |  publié le 06/03/2024

L’ancien résistant, qui vient de mourir à 101 ans,  avait lancé un appel bouleversant «contre le retour de la barbarie» ! Portrait

Le président du conseil de l'insertion par l'activité économique, Claude Alphandéry, participe, en 2007 au "forum citoyen" du quotidien Libération - Photo by JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Ses mémoires sont intitulées : « Vivre et résister ». Aujourd’hui, malgré son âge et sa santé de centenaire, Claude Alphandéry écrit : « Alors qu’hospitalisé mes forces déclinent, je viens vous demander de prendre l’engagement de tout faire, partout où vous êtes avec les moyens qui sont les vôtres, pour empêcher une nouvelle nuit noire de l’humanité ». Quelle force ! Comme le parcours de ce personnage hors normes.

L’invasion de la France en 1940 par l’armée allemande a amené Claude Alphandéry à entrer en résistance au sortir de l’adolescence. Il devient, à 20 ans, Président du Comité départemental de libération dans la Drome, activement recherché par la Gestapo. À la Libération, Alphandéry est médaillé de la Résistance, avec Croix de guerre. Il apprend le russe et s’envole pour Moscou, fasciné par la résistance de l’URSS au nazisme. Cette premier prise de contact avec le communisme réel ne l’enchante pas. Il quitte Moscou pour l’une des premières promotions de l’ENA, à Paris.

Membre du Mouvement pour la paix et rédacteur de la revue Économie et politique, il entre alors à la Direction du Trésor. Comme beaucoup d’autres, le rapport Khrouchtchev de 1956 finit par le convaincre à quitter le PC. Son engagement en faveur de la justice sociale le rapproche alors des idées de Pierre Mendès France. À Bercy, il croise la route de François Bloch-Lainé, de Simon Nora et de Claude Gruson.

En 1959, il obtient un poste d’expert économique à l’ONU. Ces huit mois d’Amérique le renforcent dans ses convictions contestataires. Il dresse constat sévère du monde de vie et de consommation américain : “L’Amérique est-elle trop riche ?”.

Son retour à Paris après 1968 lui révèle la nécessité d’une « remise en question des vieilles relations sociales ». Membre directeur du club Jean Moulin, avec d’autres hauts-fonctionnaires comme Stéphane Hessel, il contribue à un best-seller, « Nationaliser l’État ». Et il s’engage en faveur de l’indépendance algérienne. Sans jamais perdre son humour : « La liberté d’expression est fondamentale, car sans elle, on ne pourrait pas repérer les c… ».

À l’étonnement de tous, il rejoint en1964 une société de BTP puis dirige la Banque de construction et des travaux publics, spécialisée dans la politique du logement. Il dirigera sa maison de façon très moderne, participative, en proposant, le premier, des prêts immobiliers sur 20 ans.

En 1974, il signe avec d’autres patrons comme Jean Riboud et Gilbert Trigano une tribune en soutien à Français Mitterrand. Cette position, à l’encontre de l’écrasante majorité du patronat de l’époque, a failli lui coûter son poste. Peu importe : fidèle à lui-même, il rejoint la commission économique du PS. Aujourd’hui des milliers d’acteurs – coopératives, fondations, mutuelles, associations –  sont encadrés par une loi de juillet 2014 qu’il a largement inspirée.

Un jour en montagne, Alphandéry croise à nouveau le Premier ministre Michel Rocard et son ministre du Travail. À la faveur d’une… panne de télécabine, il trouve le temps de leur expliquer l’intérêt d’intégrer les exclus du travail à travers des entreprises d’insertion. Rocard est convaincu. Le gouvernement créera le revenu minimum d’insertion. Et Alphandéry lance en 1988 « France Active », un réseau de financement solidaire, qui compte aujourd’hui plus de 2 000 salariés.

C’est peu de dire combien cet homme a été, est encore, original et attachant : d’une gauche engagée, à la fois utopiste et concrète. Et d’une humanité rare. Témoin son manifeste. Centenaire, allongé sur son lit d’hôpital, Claude Alphandéry demeure, en temps de paix comme en temps de guerre, un grand résistant.

Bernard Attali

Editorialiste